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2006, DU 52 - Substitution de la dénomination “passerelle Léopold Sédar Senghor” à celle de “passerelle Solférino” dans les 1er et 7e arrondissement de Paris.


M. Christian SAUTTER, adjoint, pr�sident. - Nous passons � l?examen du projet de d�lib�ration DU 52 qui a pour but de substituer la d�nomination ?passerelle L�opold S�dar Senghor? � celle de ?passerelle Solf�rino? dans les 1er et 7e arrondissements de Paris.

Je donne la parole � M. Alain LE GARREC.

M. Alain LE GARREC. - Monsieur le Maire, aujourd?hui, par deux fois, notre Assembl�e donnera un nom � une passerelle traversant la Seine. A l?est, ce sera Simone de Beauvoir, l?auteur du ?Deuxi�me sexe? qui disait ?On ne na�t pas femme, on le devient?. Mich�le BLUMENTHAL nous rappellera son histoire.

A l?Ouest, ce sera la passerelle Solf�rino qui donnera son nom de bonne gr�ce � L�opold S�dar Senghor pour son 100e anniversaire de naissance.

Quelques mots sur Solf�rino dont plusieurs lieux portent le nom. Ce fut la bataille la plus meurtri�re du XIXe si�cle et Henri Dunant, t�moin abasourdi, en cr�era la Croix-Rouge. Ce fut aussi l?une des premi�res batailles d?Europe o� la France fit massacrer pour sa gloire et notre salut des milliers d?Alg�riens qui avaient �t� enr�l�s en tant que nouveaux Fran�ais utilitaires. Nous aurons plus tard les tirailleurs s�n�galais dont le souvenir hantera le jeune Senghor.

Le pont de Solferino fut d�truit en 1961, en 1999 fut inaugur�e une passerelle. Par habitude, par facilit� ou par d�faut, le nom de Solf�rino revint s?y installer.

L�opold S�dar Senghor naquit en 1806 en pays s�r�re et son deuxi�me pr�nom signifie en langue s�r�re ?qu?on ne peut humilier?. Toute sa vie, il s?appliquera � faire respecter ce pr�cepte.

Apr�s des �tudes primaires et secondaires dans des missions catholiques, il envisage le s�minaire et la pr�trise mais est renvoy� pour indiscipline, d�j�.

Arriv� � Paris en 1928, apr�s avoir pass� son bac, il a obtenu une bourse pour �tudier en France. Il pr�pare Normale Sup�rieure et se lie avec Georges Pompidou.

Il s?y prend � deux fois et devient le premier agr�g� de grammaire africain en 1935 et accepte d?aller enseigner au lyc�e Descartes de Tours o� il avait fait le voyage en v�lo quelques ann�es auparavant.

Si vous me permettez, Monsieur le Maire, une anecdote personnelle : en 1936, mon p�re eut la chance d?avoir L�opold S�dar Senghor comme professeur de latin en 6�me dans ce lyc�e de Tours. Il en garda un formidable souvenir mais combien de fois, quand je fus moi-m�me en 6e ou en 5e, l?ai-je entendu me dire : ?Heureusement que Senghor n?est plus professeur de latin, mon peu de latin n?y resistera pas?.

A Tours, Senghor se liera avec la famille de Jean Guitton qu?il retrouvera plus tard � l?Acad�mie fran�aise pour des ?duels de citations grecques m�morables? nous raconte son successeur sous la Coupole, Val�ry GISCARD d?ESTAING.

Il avait 29 ans et manifestement il rencontra aussi des Tourangelles, si j?en crois la strophe suivante : ?Printemps de Touraine, je suis un sauvage, un violent. Printemps de Touraine, laisse-moi dormir, on ne badine pas avec le n�gre?.

De ses ann�es d?enseignement, il gardera l?habitude de la p�dagogie magistrale. Le pr�sident de la R�publique du S�n�gal qu?il fut par la suite utilisait un tableau noir install� � demeure dans la salle du Conseil des Ministres, m�thode � m�diter.

A Paris, Senghor l?Africain qui avait rencontr� Aim� C�saire le Martiniquais, L�o Gontran Damas le Guyanais, �crivent tous les trois dans la nouvelle revue ?L?�tudiant noir? et inventent le concept de n�gritude. Chacun y mettra sa d�finition et l?utilisera � sa mani�re au cours des ann�es.

?La n�gritude est un fait, une culture, c?est l?ensemble des valeurs des peuples d?Afrique et des minorit�s noires d?Am�rique, d?Asie et d?Oc�anie? dira Senghor. ?La notion de la n�gritude nous int�ressait, avoue Claude Pompidou ?mais mon mari et moi, nous trouvions que Senghor en parlait un peu trop?.

Ceci peut expliquer cela, il s?engage � S.F.I.O. en 1936. Il sera mobilis� comme simple soldat, fait prisonnier en 1940 et, lib�r� pour des raisons de sant�, il reprend son enseignement.

La fin de la guerre approchant, Senghor qui a repris pied au S�n�gal pr�ne le f�d�ralisme pour l?union fran�aise et parle de conqu�rir la libert� par des moyens violents.

En 1948, il quitte la S.F.I.O. qui ne le suit pas sur sa vision de la politique africaine et cr�e avec Mamadou Dia un parti politique, le B.D.S., Bloc d�mocratique s�n�galais.

En 1955, il devient Secr�taire d?Etat dans le gouvernement d?Edgar Faure et reexprime l?option f�d�raliste.

En juin 1956, une loi cadre accorde une semi autonomie aux territoires d?Outre-Mer et cr�e des conseils de gouvernement. Elle est combattue par Senghor qui souhaite toujours un cadre f�d�ral.

Jusqu?en 1960, avec divers autres responsables africains, il tente de mettre le f�d�ralisme en ?uvre et, apr�s avoir tourn� le dos � De Gaulle qui souhaitait une communaut� franco-africaine, il finit par obtenir l?ind�pendance de la F�d�ration du Mali qui int�gre le S�n�gal. Cela ne fonctionne pas et Senghor devient le premier pr�sident de la R�publique du S�n�gal. Il sera �lu 5 fois de suite et conna�tra diverses crises et coups d?Etat. A chaque fois, il saura s?adapter, et adapter son pays � une d�mocratie assum�e.

En 1966, le Festival mondial des arts n�gres fait triompher sa d�finition de la n�gritude, son pays est alors un vrai pays.

En d�cembre 1980, Senghor qui a 74 ans se retire de la vie politique pour ne s?int�resser qu?� la litt�rature.

Il est �lu en 1984 � l?Acad�mie fran�aise. Pendant des ann�es, il avait parcouru le monde entier pour asseoir la francophonie, se heurtant � de multiples probl�mes politiques comme celui du Qu�bec.

En 1984, Mitterrand lui demande de prendre la vice-pr�sidence du Haut Commissariat � la Francophonie qu?il vient de cr�er. Contrairement � ce que l?on pourrait croire, l?institution Francophonie n?a que 22 ans.

R�sidant en Normandie avec son �pouse Colette dont il aura un fils, Philippe Maguilen, trop t�t disparu en 1981, il d�c�de � son tour en 2001 � 95 ans.

Je ne citerai pas l?ensemble de son ?uvre, elle est consid�rable, surtout en po�sie. Elle a m�me un lexique pour illustrer son vocabulaire. Il �tait docteur ?honoris causa? de 37 universit�s.

Politiquement, il aura su avec beaucoup de pragmatisme mener son pays vers une autonomie politique respect�e. Il sera un des rares hommes d?Etat et pas seulement africains rest� ami de la francophonie et qui quittera le pouvoir sans y �tre oblig�.

A l?heure o� certains s?interrogent sur l?Histoire, o� certains voudraient, par la voie l�gislative, formater le pass� et rendre l?histoire tributaire du nombre de si�ges que peut aligner un jour tel ou tel parti politique, nous pr�f�rons donner le nom de L�opold S�dar Senghor � une passerelle qui nous fait passer d?une rive � l?autre, au gr� de l?envie, d?un continent � l?autre, d?une culture � l?autre, qui nous raconte une histoire qui sera la n�tre si nous le souhaitons mais qui cependant vivra sans nous, si nous ne le souhaitons pas.

Senghor l?Africain, Senghor le prof, Senghor l?homme d?Etat, Senghor le po�te, Senghor le Normand, qui pourrait se vanter d?avoir v�cu tant de vies ?

Mais Senghor l?homme s�rieux, le p�dagogue savait aussi se moquer en �crivant ce texte que vous avez d�j� entendu sans savoir que c?est de lui, je vous le livre : ?Chers fr�res blancs, quand je suis n� j?�tais noir, quand j?ai grandi j?�tais noir, quand je suis au soleil je suis noir, quand je suis malade je suis noir, quand je mourrai je serai noir. Tandis que toi, homme blanc, quand tu es n� tu �tais rose, quand tu as grandi tu �tais blanc, quand tu vas au soleil tu es rouge, quand tu a froid tu es bleu, quand tu as peur tu es vert, quand tu es malade tu es jaune, quand tu mourras tu seras gris. Alors, de nous deux, qui est l?homme de couleur ??

Nous voterons ce projet de d�lib�ration avec fiert�, le quai Fran�ois-Mitterrand am�nera tout naturellement le promeneur � la passerelle Senghor pour traverser la Seine. Et vous �crirez le mot ?Sc�ne? comme bon vous semble.

Je vous remercie.

(Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et radical de gauche, communiste, du Mouvement r�publicain et citoyen et ?Les Verts?).

M. Christian SAUTTER, adjoint, pr�sident. - Merci pour cette tr�s belle �vocation.

Et je donne la parole � Mme BOURCART.

Mme Kh�dija BOURCART, adjointe. - Merci, Monsieur le Maire, mes chers coll�gues.

Le premier mot qui nous vient toutes et tous � l?esprit concernant l?hommage de la Ville de Paris � L�opold S�dar Senghor est ?enfin? ! Enfin, la Ville de Paris reconna�t L�opold S�dar Senghor comme faisant partie de son h�ritage en honorant sa m�moire par l?attribution de son nom � une fraction de l?espace public de notre Capitale.

En outre, l?acte qui conduira � d�baptiser le lieu actuel prend son sens au regard de la personnalit� de la carri�re de Senghor. Comme vous venez de le rappeler, M. LE GARREC, la passerelle actuellement nomm�e Solferino du nom d?une bataille sanglante opposant en 1859 les Fran�ais, les Sardes et les Autrichiens, sera rebaptis�e du nom d?un humaniste qui con�ut la diversit� des peuples et des cultures, non dans la lutte et le conflit mais dans le respect, la reconnaissance de l?autre, la fiert� de sa propre culture et l?affirmation de ces propres origines.

Le lieu choisi est tout aussi symbolique : la future passerelle Senghor est situ�e � l?aplomb de deux grands lieux de culture, les mus�es du Louvre et d?Orsay. A proximit� aussi d?un autre mus�e, celui des arts premiers qui l?aurait sans doute int�ress�. Et � proximit� de deux lieux qui accueillirent Senghor au cours de sa carri�re : l?Acad�mie fran�aise qui le re�ut en 1983 et l?Assembl�e Nationale � l?�poque Chambre des repr�sentants o� il si�gea comme d�put� du S�n�gal avant d?entamer une carri�re minist�rielle en France puis pr�sidentielle dans son pays devenu ind�pendant.

Monsieur le Maire, mes chers coll�gues, si j?ai d�cid� de prendre la parole pour soutenir cette d�lib�ration qui n?en a pas besoin, tant son objet doit �tre consensuel, c?est bien parce que la personnalit�, le parcours de L�opold Sedar Senghor doit nous amener � une r�flexion sur l?h�ritage qu?il nous l�gue et le chemin qu?il nous montre dans un domaine qui m?est cher, est celui aussi de l?int�gration.

En effet, le maintien, la mise en valeur, mieux la fiert� de sa culture d?origine qui entre en r�sonance avec l?int�r�t, la reconnaissance, et j?irai jusqu?� dire l?amour aussi de la culture du peuple qui accueille, quelle belle d�finition des ressorts de l?int�gration. Mas cette ad�quation entre culture d?origine et culture d?accueil est d?autant plus r�ussie quand elle s?accompagne de la part de la soci�t� qui accueille d?une m�me reconnaissance des cultures d?origine des populations accueillies en vue aussi de faire une alchimie, l?alchimie de la Ville de Paris.

C?est ce que nous essayons d?insuffler � Paris depuis le d�but de la mandature. Voil�, merci.

M. Christian SAUTTER, adjoint, pr�sident. - Merci, Madame BOURCART.

Je donne la parole � M. CAFFET pour r�pondre longuement aux deux orateurs.

M. Jean-Pierre CAFFET, adjoint, au nom de la 8e Commission. - Merci, Monsieur le Maire.

Je ne vais pas allonger les d�bats et je crois qu?il n?y a rien � r�pondre sinon que bien �videmment l?Ex�cutif s?associe pleinement et compl�tement � l?hommage qui a �t� rendu ce soir � L�opold Sedar Senghor.

M. Christian SAUTTER, adjoint, pr�sident. - Merci, Monsieur CAFFET.

Je mets aux voix, � main lev�e, le projet de d�lib�ration DU 52.

Qui est pour ?

Qui est contre ?

Qui s?abstient ?

Le projet de d�lib�ration est adopt�. (2006, DU 52).

Avril 2006
Débat
Conseil municipal
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