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Vœu déposé par les groupes Changer Paris, Paris en commun, Ecologiste de Paris, Communiste et Citoyen, "Indépendants et Progressistes", "Génération.s" et MoDem, Démocrates et Ecologistes relatif à un hommage de la Ville de Paris à Raphaël Esrail.


 

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Mes chers collègues, à celles et ceux qui sont ici en présentiel, et à ceux qui nous suivent aussi en vidéo puisque nous sommes encore dans le respect des consignes de sécurité pour cette crise sanitaire, je voudrais vous remercier d?être présents ce matin, d?être présents aux côtés d?Esther SENOT.

Chère Esther, vous savez l?admiration, l?affection que nous avons pour vous ici.

Je veux aussi saluer Damien DUQUESNE, le petit-fils de Raphaël Esrail. Saluer le président de l?"Union des déportés d?Auschwitz", cher Victor PERAHIA. Il vous revient à présent de porter cette association qui nous est si chère, et de porter la mémoire et le témoignage, ce que vous avez fait vous aussi toute votre vie, comme Esther, comme Ginette KOLINKA, et bien d?autres. Je voudrais aussi remercier et saluer Isabelle ERNOT d?être ici présente pour cet hommage à Raphaël Esrail.

J?ai tenu à ce que nous débutions ce Conseil par cet hommage, parce que Raphaël Esrail aura marqué nos vies et aura marqué aussi cette ville par l?engagement qui a été le sien. C?est vrai que nous avons coutume, ici, d?apporter notre soutien aux familles des anciens élus de Paris, des anciens Conseillers de Paris. Raphaël Esrail n?était pas un ancien élu de Paris, mais, pour nous, il était, de fait, l?élu de cette ville qui portait aussi cette mémoire des rescapés de la Shoah.

"Les rescapés d?Auschwitz ne sont plus qu?une poignée. Il vous appartiendra de faire vivre ou non notre souvenir, de rapporter nos paroles, le nom de nos camarades disparus". Tels sont les mots de Simone Veil, qui, en 2010 déjà, nous alertait sur notre responsabilité face à la disparition des derniers rescapés de la Shoah.

Le 22 janvier 2022, Raphaël Esrail, l?un d?entre eux, nous quittait à l?âge de 96 ans. Si j?ai souhaité ouvrir ce Conseil par cet hommage solennel en son honneur, c?était d?abord pour nous rappeler collectivement à notre responsabilité en tant qu?élus. Quelques jours seulement après le soixante-dix-septième anniversaire de la libération du camp d?Auschwitz-Birkenau et l?année du quatre-vingtième anniversaire de la rafle du Vel? d?Hiv?, il nous revient plus que jamais de perpétuer la mémoire des rescapés qui, inlassablement, témoignent, ont témoigné, pour éviter que la vérité ne se perde et ne s?efface. Aujourd?hui, nous leur devons d?être à la hauteur, à la hauteur de leur combat, de leur courage et de leur parcours de vie.

La vie de Raphaël Esrail se confondait avec l?histoire de la résistance et de la déportation, entre la mort et le désir irrépressible de vivre. Il était né en Turquie en mai 1925. Raphaël avait grandi à Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse. Très jeune, il s?est engagé auprès des éclaireurs israélites de France, pour aider les juifs étrangers venus en France chercher un refuge face à la montée du nazisme et à tous ces pogroms. En 1943, il est élève ingénieur à l?Ecole centrale de Lyon et il entre dans la résistance en confectionnant des faux papiers. Sous une fausse identité, celle de Raoul Paul Cabanel, il invente dès lors des vies pour en sauver d?autres.

Le 8 janvier 1944, alors qu?il se rend à son officine de faux papiers, il est arrêté par la milice, avant d?être torturé. Il est ensuite transféré à Drancy, où il fait la connaissance de Liliane, arrêtée avec ses deux jeunes frères. Il tombe immédiatement amoureux d?elle. Après s?être promis un baiser à la fin de la guerre, ils sont finalement déportés et séparés. Alors qu?il est assigné aux travaux forcés à Auschwitz, elle est déportée à Birkenau. A Auschwitz, Raphaël survit onze mois en enfer. Assailli par le froid, la faim, la maladie, il se rattache à l?idée de revoir celle qu?il aime. Réussissant à établir des contacts au sein du camp au prix de risques inouïs, il parvient à faire rapatrier Liliane à l?usine Krupp pour laquelle il travaille et où les conditions de vie lui permettront de survivre.

Après l?évacuation du camp d?Auschwitz, Raphaël puise dans ses dernières forces pour survivre aux marches de la mort. Tentant le tout pour le tout, il saute d?un train de la mort en marche, avant d?être repéré puis promis à la pendaison, une fois encore. Pourtant, il en réchappe. De retour en France, Raphaël rejoint Lyon, puis Biarritz, pour partir à la recherche de Liliane, qu?il retrouvera, avant de l?épouser en janvier 1948.

Puis, la vie suit son cours, en décalage avec celle du reste de la société, qui reste aveugle et sourde à la souffrance et aux traumatismes des rescapés. Comme bon nombre de leurs camarades, Raphaël et Liliane ne parlent pas et effacent la trace de leur matricule. Mais ce silence prendra fin en octobre 1978, le jour où Raphaël découvre avec effroi les mots de Louis Darquier de Pellepoix, ancien commissaire aux questions juives de Vichy. Dans les pages d?un grand hebdomadaire, il disait : "A Auschwitz, on n?a gazé que les poux". Pressentant que les ombres fascistes planent à nouveau sur la France, il décide de sortir du silence pour rétablir la vérité et dire ce que des êtres humains ont infligé aux autres êtres humains.

En 1986, Raphaël Esrail devient secrétaire général de l?"Amicale d?Auschwitz", qui deviendra en 2004 l?"Union des déportés d?Auschwitz", dont il accédera à la présidence quelques années plus tard.

Dès lors et jusqu?à la fin de sa vie, Raphaël racontera son expérience, en plaçant l?éducation au c?ur de son engagement. Devant les classes ou lors de voyages vers les camps, il racontera aux élèves, aux professeurs, à celles et ceux qui veulent connaître leur histoire, ce qu?ils ont traversé et subi avec ses camarades de camp. Avec intelligence et une foi inébranlable dans la jeunesse, il mettra toute son énergie à transmettre son savoir jusqu?à cet automne, où, familiarisé avec les nouvelles technologies, il a tenu à s?adresser à des élèves à distance.

Je me souviens qu?il avait longtemps gardé en mémoire cette phrase d?un lycéen, qui, à la suite de son intervention, lui avait dit : "Avec vous, l?histoire entre dans la classe". Avec vous, Esther, avec vous, Victor, avec Ginette et quelques autres, c?est aussi l?histoire qui entre ce matin dans notre hémicycle.

Aujourd?hui, vous voilà, nous voilà dépositaires de cette histoire qui nous engage et qui est la nôtre. Nous appartenons, nous, ici, à cette génération qui a connu et rencontré les rescapés de la Shoah, vous, qui êtes les seuls témoins vivants de cette histoire. Nombreux ici sont ceux qui connaissaient Raphaël. C?était une personnalité à part. Il portait en lui la conviction profonde et farouche que la vie devait toujours l?emporter sur la mort. J?ai visité avec lui le camp d?Auschwitz-Birkenau. Je l?ai accompagné régulièrement. Année après année, il tentait de nous faire comprendre l?horreur de ce qu?il avait pu vivre avec ses camarades. Ces traitements niant toute appartenance à l?humanité, il insistait toujours sur le sort des femmes. Avec ses camarades, il a veillé à témoigner, à respecter le récit de la réalité, notamment lorsqu?il s?est agi de former les guides polonais, qui, après le relais des derniers rescapés, prennent, eux, le relais de l?explication des camps. Il ne voulait pas que l?histoire, dont il avait été la victime, le témoin, l?acteur, ne soit falsifiée. Il voulait que nous soyons vigilants, combatifs face aux falsificateurs, aux négationnistes, aux fascistes sous leurs nouveaux habits qui, aujourd?hui, ont un micro ouvert, sans aucune limite, pas même celle de la loi. Nous lui devons ce combat et cette intransigeance. Nous lui devons de ne rien céder pour faire vivre la démocratie, et donc, la paix. Il était une source d?inspiration, une force de la nature, ne laissant jamais personne indifférent. Il avait fait de l?espérance le moteur de sa vie, jusqu?à lui attribuer le titre de son autobiographie : "L?espérance d?un baiser". Il était aussi un ami personnel, de c?ur, et je veux le saluer ce matin avec tendresse et avec respect. Un ami généreux, fidèle, dont le sourire qui se lisait jusque dans ses yeux nous manquera, me manquera. Chers collègues, je voudrais, à l?occasion de cet hommage, soumettre aussi ce v?u pour rendre hommage à ce héros de la résistance, témoin inlassable de l?horreur nazie. Je souhaite que Paris lui dise sa reconnaissance et sa gratitude en inscrivant son nom dans nos rues, aux côtés des autres combattants de la liberté. Paris doit poursuivre ce combat qui fait sa grandeur, contre l?oubli et pour la mémoire, contre la haine et pour l?humanité. En fidélité avec les valeurs de notre Assemblée et de notre Ville, j?appelle solennellement tous les membres à apporter leur soutien à ce projet et à avoir, en cet instant, une minute de silence.

(L'Assemblée, debout, observe une minute de silence).

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Je vous remercie.

Je vais donner la parole aux orateurs des différents groupes pour rendre cet hommage à notre ami Raphaël Esrail.

Premier orateur, M. Rémi FÉRAUD, pour le groupe Paris en commun.

M. Rémi FÉRAUD. - Merci, Madame la Maire.

Raphaël Esrail nous a quittés le 22 janvier dernier, à l?âge de 96 ans. Né en Turquie dans une famille juive, venu dès l?enfance en France, à Lyon tout d?abord. Résistant, déporté, survivant des marches de la mort, il deviendra secrétaire général de l?"Amicale d?Auschwitz", puis président de l?"Union des déportés d?Auschwitz", où il a poursuivi inlassablement la mission de savoir et de résilience que les survivants se sont donnée.

Raphaël Esrail n?aura de cesse d?être un narrateur de l?inénarrable jusqu?au dernier jour de sa vie. Il écrivait, dans son ouvrage "L?espérance d?un baiser" : "La mémoire, il faut l?assumer, ce lourd héritage, le supporter".

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Pardon, Monsieur le Président.

Est-ce que nos collègues qui viennent d?arriver peuvent avoir du respect pour la parole du président Rémi FÉRAUD ? Merci.

M. Rémi FÉRAUD. - "La première pierre de la mémoire est le souvenir des êtres aimés et le sentiment d?un devoir envers eux. Cette notion de devoir nous est propre, à nous, survivants. Elle est comme en expansion. Très rapidement, elle fait place à un devoir élargi aux frères humains, à l?humanité entière : dire, prévenir, informer. A la fin de la guerre, nous étions anéantis. Pourtant, nous avons décidé que notre avenir ne passerait pas par le ressentiment, la haine, la vengeance, mais par la reconstruction d?un lien d?humanité avec les autres, avec tous les autres. Il n?était pas question d?oublier. Cela n?était de toute façon pas possible, à moins de perdre la raison. Il était seulement question de vivre. Nous avons choisi de tendre la main pour recevoir à nouveau. L?humanité ne pouvait être que là. Nous le savions, nous qui avions côtoyé ce qu?il y a de plus sombre et de plus terrible en l?homme".

Raphaël Esrail aura donc été un témoin infatigable de ce qu?il aura vu et vécu, de la barbarie, de la cruauté, mais aussi de la fraternité, de l?entraide, de la résilience, de la résistance, de la dignité humaine. C?est sans relâche qu?il fera vivre le devoir de mémoire en remettant toujours l?ouvrage sur le métier, pour que tout le monde sache et que nul ne puisse oublier ou falsifier. Ce devoir de mémoire deviendra le fil conducteur de sa vie. C?est dans les écoles, par des visites scolaires, par des échanges avec les élèves et les enseignants, parce que, comme il le disait : "Le meilleur moyen pour arriver à lutter contre toutes les organisations racistes, élitistes et antidémocratiques, reste l?école", mais aussi dans l?écriture que Raphaël Esrail mènera alors son combat. Je pensais, comme beaucoup d?entre vous, à lui, il y a quelques jours, lorsque je participais aux commémorations de la Shoah dans une école du 10e arrondissement. Aujourd?hui plus que jamais, dans le contexte que nous connaissons, au moment où resurgissent des discours de haine, mais aussi de négationnisme, de racisme, d?antisémitisme, face à la montée des extrémistes identitaires, l?action et la parole de Raphaël Esrail doivent résonner encore plus, et c?est notre devoir. Son discours nous rappelle combien il est essentiel de nous souvenir, mais aussi de promouvoir, de transmettre les valeurs universelles, les fondements de notre République, les valeurs d?humanité, de dignité, d?égalité, de liberté et de fraternité. Oui, nous aussi, nous devons mettre notre énergie dans la transmission, dans l?éducation, pour que personne n?oublie ou ne travestisse le passé et l?histoire, et pour préparer un avenir conforme aux valeurs que nous a transmises Raphaël Esrail avec tant d?autres. Je pense que c?est ce message que nous avons tous à l?esprit ce matin en lui rendant hommage. C?est ce message et cet exemple qui doivent continuer à guider nos actions, individuelles mais aussi collectives, chaque jour. C?est pourquoi notre groupe sera fier et reconnaissant à notre Assemblée de voter le principe d?une dénomination dans l?espace public parisien, pour que la mémoire de Raphaël Esrail, un "mensch" comme on dit en yiddish, soit à jamais vivante dans notre ville.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci beaucoup, cher Rémi FÉRAUD.

La parole est à Mme Nathalie MAQUOI, présidente du groupe "Génération.s".

Mme Nathalie MAQUOI. - Madame la Maire, chers collègues, il y a des parcours d?hommes et de femmes, des histoires de vie exceptionnelles. Celle de Raphaël Esrail en fait sans aucun doute partie.

Il est très émouvant de lui rendre hommage ce matin, de faire entendre les mots qu?il nous a toujours demandé d?utiliser. Les mots dont il s?est saisi quand Louis Darquier de Pellepoix a prétendu que "seuls les poux ont été gazés à Auschwitz". Les mots contre le négationnisme. Les mots pour témoigner de la Shoah. Les mots pour essayer de nous faire réaliser cette tragédie à nous qui ne l?avons pas vécue, qui nous interrogeons sur la part noire de l?âme humaine qui a permis l?extermination d?hommes, de femmes, d?enfants, parce que nés juifs.

Inlassablement, Raphaël Esrail a raconté. Raconté le choix de la résistance à Lyon, en parallèle d?une vie étudiante brillante. Raconté l?arrestation, la peur, la déportation, et là, au milieu de l?horreur, la rencontre avec une âme s?ur, avec Liliane Badour. Raconté l?espérance du baiser promis, comme une lumière dans les ténèbres. Raconté les transferts de camp en camp, les marches de la mort. Toujours les mots qui permettent de tenir, cette fois-ci ceux de Victor Hugo : "Il neigeait, il neigeait toujours. La froide bise sifflait sur le verglas dans des lieux inconnus. On n?avait pas de pain et on a les pieds nus". A sa famille, à toutes celles et ceux qui ont été marqués par ces témoignages, à toutes celles et ceux qui ont ?uvré à ses côtés à l?"Union des déportés d?Auschwitz", nous partageons votre peine. Nous continuerons à faire résonner les mots si justes et si puissants de Raphaël Esrail. Je vous remercie.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci.

La parole est à Mme Fatoumata KONÉ, présidente du groupe Ecologiste de Paris.

Mme Fatoumata KONÉ. - Merci.

Madame la Maire, chers collègues, avec la disparition de Raphaël Esrail, c?est l?un des derniers grands témoins de la résistance et du génocide des juifs d?Europe qui vient de nous quitter, et auquel nous rendons hommage aujourd?hui au sein de cette Assemblée.

Arrêté par la milice fasciste du parti populaire français en janvier 1944 du fait de son activité de résistant, il est emmené au siège de la Gestapo à Lyon, torturé, puis transféré au camp d?internement de Drancy, avant d?être déporté au camp d?Auschwitz-Birkenau parce que juif. Libéré du camp de Dachau le 1er mai 1945 par l?armée américaine, après une terrible marche vers la mort dont il faillit ne pas survivre, Raphaël Esrail fait partie des 75.721 juifs et juives déportés de France avec la complicité du régime de Vichy. Seules 2.566 personnes ont survécu à l?enfer de l?univers concentrationnaire nazi, à cette expérience de déshumanisation et d?anéantissement total qui est née au c?ur d?une société européenne rongée par le poison de l?antisémitisme, du racisme et de la haine de l?autre.

Au retour des camps, à l?instar de nombreux déportés, Raphaël Esrail a dans un premier temps cherché à couper avec le passé des camps. La reconstruction fut douloureuse pour lui et pour son épouse, Liliane, qu?il avait rencontrée à Drancy et dont les petits frères avaient été gazés à leur arrivée au camp d?Auschwitz-Birkenau. Car il ne suffisait pas d?avoir survécu aux camps pour en être libéré et pouvoir faire le récit de l?indicible, surtout à une époque où la société française refusait d?entendre le récit des déportés juifs. Ainsi, comme de nombreux survivants et survivantes de la Shoah, Raphaël Esrail a vécu plusieurs décennies enfermé dans un silence pesant, et dans la mémoire quotidienne et insoutenable des souffrances qu?il avait vécues.

Ce n?est qu?en 1978, quand la presse française commence à publier des thèses négationnistes et révisionnistes niant la réalité du génocide des juifs d?Europe et la responsabilité de l?Etat français, qu?il décide de briser cette chape de silence pour témoigner. A l?"Union des déportés d?Auschwitz", dont il prend la présidence en 2008, Raphaël Esrail a poursuivi inlassablement et avec détermination ce travail nécessaire et essentiel de transmission du savoir et de la mémoire de la Shoah. Il comprend immédiatement que ce combat doit s?appuyer sur les enseignements, ainsi de permettre à l?histoire d?entrer de plain-pied dans les classes. "Comment peut-on comprendre et faire comprendre que l?extermination d?un peuple entier ait pu ainsi être décidée, planifiée, puis mise en ?uvre ? C?est cette inhumaine humanité, cet impensable pourtant pensé, que nos témoignages permettent d?approcher. Que disent-ils ? Que nous sommes revenus d?un autre monde possible construit sur le triptyque nazi race/hiérarchie/dictature, dont l?énergie était la négation, la violence, et la mort", écrivait-il dans son autobiographie en 2017. En 2022, alors que les discours et les actes antisémites rongent de nouveau la société française, que le racisme, la xénophobie et la haine de l?autre s?expriment ouvertement et quotidiennement dans les médias et sur les réseaux sociaux, qu?un candidat à l?élection présidentielle tient ouvertement des propos révisionnistes sur la responsabilité de Pétain et du régime de Vichy dans les déportations et l?extermination de dizaines de milliers d?enfants, de femmes et d?hommes juifs, il nous incombe de poursuivre le combat de Raphaël Esrail et des survivants de la Shoah afin de lutter contre les crispations identitaires, les divisions et les discours de haine raciale. Plus que jamais, nous devons sensibiliser les jeunes et les moins jeunes aux causes de ce génocide. Il y a près d?un siècle, l?antisémitisme, la haine, le rejet des étrangers, l?abandon des droits humains, conduisirent la France et l?Europe dans un cercle infernal de violence, de crimes contre l?humanité et de meurtres de masse. Des millions d?enfants, de femmes et d?hommes furent anéantis avec une sauvagerie et une cruauté inouïes. Aujourd?hui, le spectre de la haine raciale et des xénophobes menace de nouveau les valeurs humanistes de la civilisation européenne. Or, si nous voulons construire un avenir commun fondé sur le respect de la dignité humaine, de la liberté et de la justice sociale, nous devons non seulement tirer toutes les leçons de cette période afin de ne pas répéter les crimes du passé, mais surtout, agir avec détermination pour faire respecter les droits humains de toutes et de tous. Je vous remercie.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci, Madame KONÉ.

La parole est à M. Alexis GOVCIYAN, pour le groupe "Indépendants et Progressistes".

M. Alexis GOVCIYAN. - Merci, Madame la Maire.

"Infatigable témoin, président visionnaire, personnalité hors du commun, Raphaël Esrail n?est plus, mais son ?uvre demeure et restera vivante. Sa présence nous entoure de sa bienveillance et de son intelligence. Elle nous commande d?agir en suivant ses traces". Ainsi s?exprimait l?"Union des déportés d?Auschwitz" alors que cet homme exceptionnel venait de nous quitter.

Ce matin, notre séance, courte dans sa durée mais intense en termes de respect et d?émotion, vise à rendre hommage à cette personnalité qui, en 1943, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, avait tout juste 18 ans quand il s?engageait dans la résistance en France.

Madame la Maire, votre intervention a rappelé l?essentiel du parcours extraordinaire de ce témoin, qui a certes connu l?horreur, si jeune, mais qui s?est engagé, si jeune aussi, pour combattre la barbarie du nazisme et de l?antisémitisme. Il avait le sens de l?engagement, mais aussi de l?espérance, ces vertus majeures qu?il nous faut sans cesse rappeler, peut-être plus encore dans ces temps incertains que nous vivons actuellement.

Lui qui s?interrogeait comme des milliers, comme des millions d?autres déportés : où est-on ? Que vont-ils faire de nous ? Où sont les autres ? Lui qui écrivait que dans cet univers de négation, la force de l?espérance était sa source de survie. Vivre en témoignant, vivre en survivant, transmettre en agissant.

Comme il le racontait au détour d?une "interview" en 2013 : "L?histoire nous habite tous, qui que nous soyons. Si je témoigne, c?est parce que nous ne souhaitons pas que de tels événements se produisent de nouveau. J?aspire à ce que de nouvelles générations réfléchissent à ce qui s?est passé, qu?elles se demandent pourquoi et comment cela a pu être possible. Je souhaite les instruire pour qu?elles puissent ensuite juger par elles-mêmes des idéologies comme le totalitarisme ou le fascisme", disait-il.

Commandeur de la Légion d?Honneur, Raphaël Esrail a connu tous les honneurs, de Paris comme de la République française. Mais il recevait sans doute son meilleur hommage - vous l?avez rappelé, Madame la Maire - de la part d?un jeune élève dans un lycée du Sud-Ouest, qui lui disait : "Monsieur, avec vous, l?histoire entre dans la classe". Peu d?hommes et de femmes ont eu une telle force du récit de déportation raconté avec justesse, et très peu d?entre eux ont reçu un tel hommage. Raphaël Esrail était un acteur incontournable du devoir de mémoire en France durant ces dernières décennies. Sa mort nous oblige et nous mobilise pour poursuivre sans relâche ce travail de mémoire et de transmission, si essentiel à l?éveil des consciences des citoyens actuels et futurs. Peu d?hommes et de femmes ont eu une telle force de témoignage, de l?engagement, mais aussi de l?espérance, de l?amour de l?humanité. Il est légitime que notre Ville décide dès aujourd?hui, à travers le v?u déposé de manière unanime sur tous les bancs de cette Assemblée, qu?un lieu parisien soit nommé en sa mémoire. Je vous remercie.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci, Monsieur GOVCIYAN.

La parole est à Mme Maud GATEL, pour le groupe MoDem, Démocrates et Ecologistes.

Mme Maud GATEL. - Le 22 janvier dernier, à Lannion, Raphaël Esrail nous quittait à l?âge de 96 ans, au terme d?une vie marquée par l?espérance, la souffrance et l?engagement. Au nom du groupe MoDem, Démocrates et Ecologistes, je tiens à adresser mes sincères condoléances à sa famille ainsi qu?à ses compagnons de combat, et notamment à ses camarades de l?"U.D.A".

Arrivé en France à l?âge d?un an avec ses parents en provenance de Turquie, il mène une enfance insouciante jusqu?à ce que la Seconde Guerre mondiale ne bouleverse sa vie.

A 19 ans, il suit de brillantes études d?ingénieur à l?Ecole centrale de Lyon, tout en participant à la résistance en fabriquant de faux papiers pour préserver la vie de ses camarades de combat. Dénoncé, il sera déporté à Drancy, où son chemin croise celui d?une jeune femme, Liliane, dont le souvenir l?aidera à surmonter l?insurmontable à Auschwitz, puis à Dachau. Après avoir résisté aux humiliations, à la haine, aux coups, aux marches de la mort, il est libéré par les forces américaines en avril 1945. Il rentre en France et il retrouve Liliane.

Après ses études, il rejoint Gaz de France et tente de tourner la page, jusqu?à ce que le poison du révisionnisme ne lui enjoigne de reprendre le combat : celui de témoigner pour faire vivre la mémoire de celles et ceux qui ont perdu la vie à cause de l?entreprise de destruction de l?humanité conçue par les nazis. Il écrira bien plus tard, dans "L?espérance d?un baiser" : "Les survivants n?ont pas de haine. Ils témoignent de ce que fut Drancy, de ce que fut la Shoah, dans l?intention surtout de prévenir le racisme et l?antisémitisme". Secrétaire général puis président de l?"Union des déportés d?Auschwitz", infatigable passeur de mémoire, il s?attache au recueil, à la connaissance et à la transmission du crime ultime afin de prévenir sa survenance à nouveau. Sa parole, d?une rare humanité malgré l?horreur vécue, nous manque déjà, tandis qu?il repose désormais auprès de son épouse Liliane à Biarritz. Alors que l?actualité est marquée par la persistance voire le regain d?un antisémitisme dans notre société, mais également par le révisionnisme qui désormais s?affiche sans complexe, la poursuite et même le renforcement de l??uvre de Raphaël Esrail est une impérieuse nécessité. Il considérait que le devoir de mémoire devait être au c?ur de la transmission et de l?école afin que les jeunes générations n?oublient jamais que l?inhumanité reste toujours à nos portes. Raphaël Esrail n?est plus, mais son ?uvre doit lui survivre. C?est une exigence. Prévenir et informer pour que ce passé ne soit jamais reconduit dans aucun présent. Certaines voix s?éteignent, mais le combat de la mémoire, lui, doit renaître. Je vous remercie.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci, Madame GATEL.

La parole est à M. Geoffroy BOULARD, pour le groupe Changer Paris.

M. Geoffroy BOULARD, maire du 17e arrondissement. - Madame la Maire, chers collègues, un flambeau de la mémoire de la Shoah et de la résistance, un rescapé au parcours extraordinaire nous a quittés le 22 janvier dernier. Traversant la violence concentrationnaire et son déni d?humanité, Raphaël Esrail est devenu un infatigable passeur de mémoire. Son engagement et sa vie constituent à plusieurs égards un témoignage puissant en faveur de l?espoir, de l?amour, de l?entraide et de la dignité humaine. Sa famille, venue de Turquie et installée à Lyon en 1926 lorsque Raphaël n?a qu?un an, descend d?une communauté de juifs expulsés d?Espagne au XVe siècle. Elle représente ainsi, à elle seule, un résumé de la tragédie qui a frappé le peuple juif. Une tragédie récurrente à travers les siècles et qui n?appartient pas seulement au passé.

Devenu scout au sein de la troupe des éclaireurs israélites de France, Raphaël est, dès l?adolescence, confronté aux heures graves. A partir de 1938, il voit affluer de jeunes réfugiés fuyant les assauts du nazisme en Europe centrale, qui trouvent et pensent trouver en France un asile durable. Il a tout juste 18 ans lorsqu?il entre dans la résistance en 1943. Elève ingénieur à l?Ecole centrale de Lyon, au grand jour, il sauve des vies comme faussaire, dans l?ombre. Démasqué en janvier 1944 par la milice et l?officine lyonnaise de la Gestapo, déporté à Drancy, Raphaël reste 11 mois au camp de concentration.

Ce qui a toujours frappé celles et ceux qui ont eu le privilège de le connaître, c?est qu?il se considérait comme un miraculé. Il a échappé à la chambre à gaz et à une exécution après une évasion manquée. Il survit aux marches et aux trains de la mort. Enfin, il trouve et retrouve la liberté à quelques jours de ses 20 ans.

Dans ses épreuves, deux circonstances lui donnent la force de survivre. Tout d?abord, une chance morale. "Avoir été résistant m?a aidé à titre personnel. J?avais une chance morale. Je savais pourquoi j?étais là. Ceux qui étaient pris uniquement parce qu?ils étaient juifs, pratiquants ou non, agnostiques ou athées, ne pouvaient pas comprendre". C?est l?espérance d?un baiser, ensuite, qui lui permet de tenir et décidera de son destin à la sortie des camps : Liliane Badour, sa lumière au bout du tunnel. Ainsi rend-il hommage à cette espérance décisive et en fait-il le titre de ses mémoires publiés en 2017.

Ayant cherché pendant plusieurs années à effacer l?horreur des camps, il décide de poursuivre l??uvre mémorielle à l?aube des années 1980 lorsqu?il découvre les relents du négationnisme. Il se dévouera avec constance à la sensibilisation des jeunes générations, au sein de l?"Amicale d?Auschwitz", puis de l?"Union des déportés d?Auschwitz". "Avoir échappé à cette entreprise génocidaire a créé une obligation fondamentale" : transmettre et préparer la suite quand les témoins, les survivants de ce crime sans nom manqueront. C?est la vocation de "Shoah, mémoire demain", qu?il m?a fait découvrir dans le 17e arrondissement, qui recense plus de 8 heures de témoignages de déportés, rescapés d?Auschwitz-Birkenau, mais propose aussi de contextualiser leurs récits à l?aide de cartes, de documents historiques, de reproductions en images de synthèse de camps, mais aussi de tous ses éléments constitutifs, y compris les fours crématoires et les chambres à gaz. Un outil pédagogique unique, indispensable, qui met le virtuel au service de l?histoire et de son atrocité, et permet à tous de prendre réellement conscience du dispositif d?extermination créé par les nazis, face à la tentation trop prégnante, trop actuelle du révisionnisme et du négationnisme. Son combat et l?engagement de sa vie sont un symbole de liberté, d?égalité et de fraternité. Au nom des valeurs de Paris, au nom de la République française, il nous incombe désormais collectivement de rendre hommage à l?homme et de perpétuer son ?uvre.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci, Monsieur le Maire du 17e arrondissement.

Dernier orateur, Monsieur Nicolas BONNET-OULALDJ, pour le groupe Communiste et Citoyen.

M. Nicolas BONNET-OULALDJ. - Merci, Madame la Maire.

Mesdames et Messieurs, au nom des élus communistes, je souhaite m?associer pleinement à cet hommage qui est rendu à Raphaël Esrail, au résistant, au déporté, au passeur de mémoire. Quand on est le dernier intervenant et que beaucoup de choses ont déjà été dites par vous, Madame la Maire, et par mes collègues, inutile de reprendre toute sa biographie, toute son histoire, mais permettez-moi d?insister, dans ce moment important et solennel, sur des aspects qui me paraissent très importants.

Rappeler tout d?abord que, suite à son entrée en résistance, Raphaël Esrail a été torturé par la Gestapo, dirigée par Francis André pour le compte de Klaus Barbie. Cela nous rappelle tout le procès qu?il y a eu autour de Klaus Barbie, qui a été un premier dénouement face à ce que certains d?entre vous ont évoqué - le négationnisme, le révisionnisme - que l?on vit aujourd?hui encore puisque certains réécrivent l?histoire de Vichy. Oui, le régime de Vichy a envoyé les juifs dans les camps de concentration. Oui, le régime de Vichy a été collaborationniste et a été l?un des acteurs principaux de la Shoah.

Rappeler évidemment que, derrière le négationnisme, il y a la souffrance de beaucoup d?êtres humains, souffrance morale et physique, qui a conduit des personnes comme Raphaël Esrail à prendre le chemin de la mémoire, à raconter leur propre martyre, mais pas pour eux. Comme il le dit : "Pour le devoir de mémoire, celle glorieuse des résistants et celle douloureuse des juifs".

Rappeler aussi, comme il dit, que seules les actions éducatives et pédagogiques sont des éléments importants pour faire face au négationnisme. Raphaël Esrail a été un acteur essentiel du recueil de la mémoire, de sa mise en valeur pédagogique, de sa transmission. Il faut investir dans l?éducation par la connaissance qui est la seule à pouvoir repousser les extrêmes, qu?il a affrontés pendant la guerre.

Raphaël Esrail est décédé à quelques jours de la commémoration de la libération d?Auschwitz par l?armée soviétique. Cette journée du 27 janvier qui est devenue la Journée internationale de la mémoire des victimes de l?Holocauste et de la prévention des crimes contre l?humanité.

J?ai un souvenir personnel, Madame la Maire, que nous partageons. Il y a quelques années, je participais à vos côtés à la délégation conduite par Éric de ROTHSCHILD, président du mémorial de la Shoah, avec plusieurs élus parisiens qui se rendaient à Auschwitz pour la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la libération des camps. Nos gorges se serrent, les larmes perlent, le silence s?installe lorsque l?on repense au moment où nous avons franchi le sinistre portail. Dans ce camp, plus d?un million de femmes, d?hommes, d?enfants, de vieillards ont été exterminés. 90 % d?entre eux ont été tués parce que juifs.

La création de ces camps répond à l?idéologie nazie. Quand j?entends aujourd?hui certains s?échanger des mots : "Ils ne sont pas dans mon camp, mais dans le camp de l?adversaire", on ne peut pas banaliser cela. L?idéologie nazie prône l?extermination de celles et ceux qu?Hitler considérait comme "des nocifs et dangereux" : les juifs, les communistes, les résistants, les militants politiques, les Tsiganes, les prostitués, les homosexuels, les handicapés et les témoins de Jéhovah.

Il faut dire et redire chaque année notre émotion face à l?indicible. Nous pouvons être fiers du travail engagé par Paris, où de nombreuses initiatives ont été et sont encore prises. Evidemment, je soutiens toutes les actions entreprises par Laurence PATRICE. Nous pouvons être fiers de rendre hommage à celles et ceux qui ont connu l?enfer, comme ce fut le cas dernièrement avec la nomination du gymnase Victor-Young-Perez. A chaque fois qu?une plaque est apposée à Paris en hommage à un résistant, une résistante ou un déporté, nous faisons ?uvre de mémoire et d?éducation. Nous avons donné le nom d?Alfred Nakache à une piscine, celui d?Hélène Berr à une bibliothèque. Cela a beaucoup plus de sens que de favoriser le "naming".

Le racisme, l?antisémitisme et le négationnisme nauséabond, qui reviennent sur le devant de la scène, sont des mots dont il est difficile de se débarrasser. Le bouc émissaire est bien pratique en période de crise. Il permet de ne pas dénoncer les vraies responsables : les causes économiques et sociales. La génération de celles et ceux qui ont vécu cette ignominie disparaît peu à peu. Nous avons maintenant, nous, la responsabilité et le devoir de continuer à dire, à raconter, à expliquer pour que la mémoire ne s?éteigne pas. Continuons à construire un monde de paix par l?éducation, où le racisme, l?antisémitisme et le négationnisme seront bannis. Luttons sans relâche et n?ayons aucune complaisance face aux actes et aux propos racistes et antisémites de certains. Je vous remercie.

Mme LA MAIRE DE PARIS. - Merci à vous, Monsieur le Président.

Je vais mettre à présent aux voix, à main levée, le v?u référencé n° 1 de l?Exécutif et de l?ensemble des groupes de cette Assemblée, pour inscrire le nom de Raphaël Esrail dans les rues de Paris.

Qui est pour ? Contre ? Abstentions ?

Ce v?u est donc adopté à l?unanimité. (2022, V. 1).

Je vous en remercie.

Salutations.

 

Février 2022
Débat
Conseil municipal
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