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2021 DEVE 89 - Dénomination "jardin Jane Vialle" attribuée à l’espace vert situé 122, rue des Poissonniers (18e).


 

Mme Colombe BROSSEL, adjointe, présidente. - Nous examinons le projet de délibération DEVE 89 : dénomination "jardin Jane Vialle" attribuée à l'espace vert situé 122, rue des Poissonniers. La parole est à Alice COFFIN.

Mme Alice COFFIN. - Merci, Madame la Maire.

Je prends la parole pour deux choses au sujet de ce projet de délibération.

D'abord, pour rendre tout l'hommage qu'elle mérite à Jane Vialle.

D'autre part, pour dire à quel point cet hommage est incompatible avec les attaques violentes contre Rokhaya DIALLO et Assa TRAORÉ dont cette mairie s'est fait la complice la semaine passée.

En fait, c'est toujours pareil pour ces projets de délibération qui concernent les hommages, qui concernent des témoignages publics de reconnaissance que nous faisons, nous, élus, à une personnalité. Il faut que nous nous demandions si notre politique, celle de l'Hôtel de Ville, est à la hauteur de ceux, celles qui, comme c'est le cas de Jane Vialle, ont eu des vies d'héroïnes, si ces hommages sont cohérents avec nos positionnements actuels.

Sinon, nous nous exposons aux critiques justifiées envers ce qui est dénoncé comme une politique des plaques, c'est-à-dire de faire de l'affichage.

Je trouve absolument essentiel le travail de dénomination et d'hommage, en particulier lorsqu?il est construit, pensé, mis en ?uvre, comme le font Laurence PATRICE et son cabinet.

Grâce à ce travail, des millions de personnes découvrent jour après jour des personnalités au parcours exceptionnel, qui hélas restent trop souvent ignorées des livres d'histoire, surtout si elles sont femmes, surtout si elles sont noires, ce qui est le cas de Jane Vialle.

Nommer ce jardin du 18e Jane Vialle, et consacrer un temps du Conseil de Paris à sa mémoire est donc un acte capital.

Jane Vialle, c'est le genre de femmes, de parcours qui vous fait vous sentir extrêmement humble. Elle est née au Congo, sur un territoire envahi par les colons français, deviendra l'une des premières sénatrices noires de la République française, et n'aura de cesse de combattre le racisme et les discriminations dont elle fut elle-même largement la cible.

Un parcours qui mêle journalisme, elle fut journaliste à l'A.F.P., militantisme et engagement. Elle est entrée par l'entremise d'un foyer d'étudiants asiatiques et africains dans la résistance, et a d'ailleurs reçu la médaille de la résistance.

La politique, elle fut élue sénatrice en 1947. Aussitôt, en compagnie d'une autre sénatrice noire, d'une autre résistante, Eugénie Eboué-Tell, elle ?uvre, avec des élus d'Outre-Mer, à dénoncer les inégalités de traitement entre les conseillers de la République de Métropole et ceux d'Outre-Mer.

Ces deux-là, ce mini "squad" avant l?heure, ces femmes qui ont rendu concret le concept de "sisterhood", de sororité, ont également ?uvré ensemble à ce que la recherche de la paternité soit appliquée outre-mer comme en métropole.

Voici les mots de Jane Vialle : "Je suis moi-même la fille d'un de ces pères consciencieux et d'une mère noire, mais lorsque les pères ne veulent pas s'embarrasser d'une responsabilité prolongée, ils les abandonnent".

Comme l'écrit Annette JOSEPH-GABRIEL, professeur d'études françaises à l'université du Michigan et autrice de "Comment les femmes noires ont transformé la citoyenneté dans l'empire français" : "Bien que françaises, elles étaient perçues comme étrangères à l'ordre et au système établi. Néanmoins capables de se bâtir un chemin jusqu'au centre du pouvoir, elles ont ainsi permis d'ouvrir la qualification de français à des individus qui ne semblaient, dans un imaginaire jusqu'alors restreint, pas pouvoir y prétendre. Elles ont aussi lutté et obtenu des droits égaux de citoyens pour ceux et celles qui comme elles, étaient issus des colonies".

L'autrice fait d'ailleurs le lien avec d'autres femmes politiques aujourd'hui telles que Danielle OBONO, elle aussi et tout récemment encore cible de menaces de mort épouvantables, et en permanence en prise au racisme et au sexisme, en précisant : "Des politiciennes noires aujourd'hui continuent cette tradition en utilisant leur pouvoir politique pour défendre les personnes placées aux marges de la société".

Sans trop m'avancer et sans scientificité vu l'anachronisme, je pense qu'aujourd'hui, Jane Vialle, cette femme à qui Paris décide de rendre hommage, serait qualifiée au choix d'identitaire, d'antiraciste, puisque c'est devenu une insulte, de décoloniale, d'indigéniste, autant de qualificatifs dont on affuble des femmes au travail si important que celui de Rokhaya DIALLO ou Assa TRAORÉ.

Je les cite elles, parce que la semaine dernière dans l'enceinte de l'Hôtel de Ville, à quelques mètres de l'endroit où nous sommes en train de dire notre reconnaissance à Jane Vialle, a été décerné, sous l'égide de la Maire de Paris, un prix national à une personnalité. Je ne cite pas la personnalité. Ce n'est pas pour l'ignorer, c'est au contraire plutôt pour la protéger, et parce que ce n'est pas elle qui est en cause directement.

Pour expliquer pourquoi ce prix national de la laïcité allait être remis à cette personnalité, le dossier de presse de cette cérémonie avait adjoint une petite "bio" très courte dans laquelle figuraient quelques mots, et surtout ceci "Elle a dénoncé l'imposture des idéologies coloniales et imperfectionnelles, et s'est illustrée dans ses positions contre Assa TRAORÉ et Rokhaya DIALLO".

Cette dernière phrase est terrible. Il n'y avait presque rien d'autre dans la "bio", donc juste s'illustrer contre des femmes engagées, c'est mériter une médaille ?

Je ne dis pas que cette médaille ne devait pas être décernée. Je ne dis pas que l'on doit être d'accord avec Rokhaya DIALLO et Assa TRAORÉ, moi je le suis pleinement mais ce n'est pas le sujet. Ce qui est grave, c'est d'estimer que désormais, s'en prendre à deux femmes noires déjà tant exposées dans l'espace public, c'est mériter une médaille.

On peut être d'accord, on peut ne pas être d'accord, on peut poursuivre des combats différents dans la vie, mais je ne comprends pas comment la Maire de Paris peut, dans le même temps, célébrer le souvenir de Jane Vialle et se faire l'alliée de textes qui glorifient le fait de combattre des militantes, des journalistes, des femmes, dont pour l'une, Christiane TAUBIRA disait qu'elle était une chance pour la France.

Je prie Rokhaya DIALLO et Assa TRAORÉ d'accepter nos excuses, en tout cas les miennes à ce sujet. Je n'étais pas informée des motifs invoqués pour ce prix, sinon je serais intervenue. Je prie Jane Vialle aussi, dans son jardin du 18e, qui j'espère lui plaira, de nous aider à sortir des invectives, et de ne plus penser que celles-ci sont dignes de lauriers.

Merci.

Mme Colombe BROSSEL, adjointe, présidente. - Merci.

Pour vous répondre, la parole est à Laurence PATRICE. Madame PATRICE, vous avez la parole.

Mme Laurence PATRICE, adjointe. - L'objet de ce projet de délibération est donc le jardin Jane Vialle, la mairie du 18e arrondissement participe effectivement grandement à notre ambition de féminiser l'espace public.

Je veux remercier le maire, Eric LEJOINDRE, pour cette politique volontariste puisque, en effet, dans ce quartier du Nord de Paris, on a la rue Madeleine Rébérioux, le gymnase Wilma Rudolph, à l'Ouest des voies S.N.C.F. l'allée Lydia Becker, rue Eva Kotchever, rue Mado Maurin et le nouveau jardin? Vous permettez que je?

Mme Colombe BROSSEL, adjointe, présidente. - Personne n'a interrompu personne, et donc Mme PATRICE, seule, très tranquillement et sereinement comme elle le fait, va continuer son propos. Ensuite, à vous.

Mme Laurence PATRICE, adjointe. - Ensuite, nous allons inaugurer bientôt le jardin Nusch Eluard avec Eric LEJOINDRE.

Et donc, effectivement, ce projet de dénomination continue cette politique de féminisation de l'espace public à Paris, et singulièrement dans le 18e arrondissement. Il est donc soumis à votre vote.

Il donne une identité à un magnifique espace de 6.000 mètres carrés, aménagé récemment et qui fait le bonheur des familles du quartier. Je ne vais pas reprendre le parcours de cette personnalité née en République du Congo, je veux juste rappeler qu'elle fut aussi élue sénatrice en 1947. Elle a rencontré la sénatrice de Guadeloupe Eugénie Eboué-Tell, qui a une rue à Paris, dans votre arrondissement, je crois, Alice, dans le 12e arrondissement. Elles ont toutes deux ?uvré pour l'égalité, contre le racisme. Elles ont été à l'origine de nombreuses initiatives parlementaires qui dénoncent les inégalités entre les habitants de la Métropole et ceux de l'Outre-Mer. Je vous propose donc de voter pour ce jardin dans le 18e arrondissement, qui rendra hommage à cette grande personnalité de notre histoire. Je vous remercie.

Mme Colombe BROSSEL, adjointe, présidente. - Merci à vous.

Je mets donc aux voix, à main levée, le projet de délibération DEVE 89.

Qui est pour ?

Qui est contre ?

Qui s'abstient ?

Le projet de délibération est adopté. (2021, DEVE 89).

 

Novembre 2021
Débat
Conseil municipal
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