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2021 DU 123 - Dénomination place des combattantes et combattants du Sida (Paris Centre).


 

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Nous examinons le projet de délibération DU 123 relatif à la dénomination place des combattantes et combattants du Sida, Paris Centre.

Beaucoup d'inscrits.

Je donne la parole, pour commencer, à Jérôme LORIAU.

M. Jérôme LORIAU. - Mes chers collègues, souvent, quand on inaugure des lieux de mémoire, que l'on baptise des rues, des espaces, c'est pour évoquer des personnes ou des événements du passé. D'une certaine manière, c'est vrai pour une petite partie, l'épidémie de Sida appartient au passé. Ce n'est heureusement plus la maladie telle que nous y étions confrontés dans les années 1980-90.

Etudiant, j'ai appris de ce temps ce qu'était l'impuissance d'un médecin à soigner, à guérir un patient. Patients, soignants, nous n'avons alors ensemble pas gagné assez de temps pour sauver tous ceux qui n'ont pas pu attendre les traitements antirétroviraux efficaces et disponibles. Il a fallu du temps, beaucoup trop de temps.

Il y a un passé à cette épidémie. L'existence à Paris d'un lieu de mémoire est totalement légitime. Un tel lieu d'ailleurs existe déjà depuis 2006, inauguré par le président Jacques Chirac dans le Parc de la Villette, où l'immense fresque qu'est l'"Artère", représente toute cette histoire de l'épidémie de Sida. Alors, bravo de cette continuité avec l'action initiée par Jacques Chirac.

Je voudrais néanmoins souligner le caractère assez limité en surface de l'espace que nous allons baptiser, certes, au centre de Paris. Rappelons que l'"Artère" occupe dans le parc de la Villette 1.000 mètres carrés environ. Il faudra donc, je pense, vraiment qu'un aménagement spécifique puisse matérialiser et mettre en valeur le terre-plein que nous baptisons pour valoriser notre démarche.

L'histoire de cette maladie n'est malheureusement pas arrêtée, nous le savons tous, et le Sida lui aussi a une actualité. Le Sida fait partie des victimes collatérales du Covid. Moins de dépistages, moins de sérologies réalisées, moins de consultations dans les centres de dépistage gratuit. Cela signifie moins de diagnostics précoces et moins de prises en charge précoces des patients.

Bien sûr, il s'agit de nouvelles qui sont délétères pour des soins prodigués dans de bonnes conditions.

Là où l'opération "Au labo sans ordo" avait permis de dispenser des dépistages de manière plus importante, la pandémie de Covid a fait chuter le recours à cette disposition. Il faudra renforcer à nouveau cette opération. Actuellement, on considère que 10 % seulement des dépistages sont réalisés grâce à l'opération "Au labo sans ordo".

Le Covid, c'est aussi 50 à 80 % d'initiations de PrEP en moins. Il faudra là encore renforcer les efforts pour diffuser cette PrEP et éduquer à la prise de la PrEP. Une PrEP prise dans de bonnes conditions, c'est 93 % d'efficacité, alors que dans les études de vie courante, quand on observe les aléas de l'observance de la prise de PrEP, on chute à des efficacités de 20 %, ce qui risque là aussi d'occasionner la propagation et la recrudescence de l'épidémie.

Il faut que tous les acteurs de ce domaine puissent travailler ensemble et que les acteurs de la toxicomanie qui s'occupent de la lutte contre le "chemsex" puissent parler et travailler ensemble avec les acteurs de la lutte contre le Sida. On sait combien les comportements de baisse de vigilance et de pratiques à risque qu'occasionne le "chemsex" sont délétères à la lutte contre le Sida et il faut que tous puissent unir leurs efforts.

Je voudrais rappeler, parce que l'objectif que se fixe une collectivité, cela ne peut pas être qu'un slogan que l'on annonce, on agite et on oublie, nous avons en 2016 pris pour objectif à échéance de 2030 que 90 % des personnes séropositives soient dépistées, 90 % soient sous antirétroviraux, et 90 % des patients aient une charge virale indétectable. C'était un objectif ambitieux, mais il faut s'y tenir et nous devons garder cet objectif en ligne de mire, le travail est encore immense à mener.

Et puis, en matière mémorielle, il y a aussi une actualité en matière de lutte contre le Sida. Notre conseil a déjà à plusieurs reprises et encore récemment débattu de la création d'un centre d'archives LGBTQI, qui n'a toujours pas vu le jour aujourd'hui.

Des ressources importantes de ce fonds qui patientent depuis près de 20 ans, lorsqu'il aura enfin vu le jour pourront alimenter l'historique de la lutte contre le V.I.H. Alors oui à ce nouveau lieu de mémoire, mais voyons-y autant un lieu de mémoire qu'un symbole d'attachement et d'engagement de notre ville à lutter sans relâche.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

La parole est à Geneviève GARRIGOS.

Mme Geneviève GARRIGOS. - Monsieur le Maire, mes chers collègues, donner un nom à une place, nous qui votons v?ux et projets de délibération pour rendre visibles dans notre ville les traces dans le temps du passage de personnes manquantes, nous savons l'importance de ce geste pour ce qui est de dire notre histoire collective et d'en rectifier les oublis.

Ce geste peut sembler bien dérisoire par rapport au nombre vertigineux des mortes et des morts que notre ville pleure encore à cause de cette pandémie, de celui des personnes vivant avec le V.I.H., de celles et ceux qui ont dû donner une énergie démesurée et souvent affronter préjugés et peurs pour exiger et découvrir des traitements efficaces, inventer et proposer les accompagnements adaptés.

Il était très important pour que ce geste ait un sens, qu'il ne soit pas que celui de notre Conseil mais aussi celui de l'ensemble des personnes et associations qui portent la parole des personnes vivant avec le V.I.H. et luttent contre le Sida, qui font vivre aujourd'hui cette mémoire et ce combat. C'est bien évidemment ce que nous souhaitons faire, Monsieur Jérôme LORIAU.

La nomination proposée aujourd'hui correspond ainsi à une démarche qui a associé de très nombreuses associations. J'ai pu participer à leurs échanges concernant le choix des mots les plus justes. Ces échanges ont été très riches.

Faut-il rappeler les conséquences très réelles aujourd'hui encore, de la maladie en parlant des mortes et des morts que nul euphémisme ne saurait ramener à la vie ? Faut-il inclure les soignants, les personnes qui ont aidé dans la lutte mais ne vivent ou ne vivaient pas avec le V.I.H. ? Comment mettre en avant la lutte sans oublier celles et ceux qui ne s'identifiaient pas à cette lutte mais sont décédés des suites du virus ?

Surtout, la question qui s'est posée de comment faire vivre ce lieu, lui permettre de créer des réflexions, des débats, pour que la mémoire soit vivante, pour que le combat contre le V.I.H. jamais ne faiblisse.

Notre projet de délibération aujourd'hui ne répond pas à ce dernier enjeu, et j'espère que nous saurons, avec les associations qui porteront des idées et des projets, animer cette place que nous allons ainsi nommer.

S'agissant du nom, "place des combattantes et des combattants du Sida", je ne citerai qu'une phrase de l'un de ses participants, qui résume bien le consensus qui s'est imposé : "Cela fait 40 ans que l'on est en guerre. On peut bien assumer le mot combat".

Ce combat, au final, rassemble bien l'ensemble des expériences de vie de celles et ceux que nous avons souhaité honorer, combat pour la vie, combat pour les soins, combat pour le respect et la dignité. Ce combat, l'envie de vivre, mais aussi la colère et l'espoir qui le sous-tendent, Cleews Vellay les a magnifiquement décrits dans un édito d'"Action" de 1993 intitulé :

"Des quetsches pour les sidéens.

Et puis, je me pose toujours des questions sans réponses : combien mourront avant moi ? Vais-je souffrir ? Serai-je conscient jusqu'au bout ? [?]

Vous savez, toutes ces questions que l'on se pose sans pouvoir les formuler vraiment à autrui. Toutes ces questions qui vous gâchent vos derniers jours.

Alors on ne comprend pas. On ne comprend plus. On se dit que tout est vain. Tout ce temps précieux à vouloir convaincre des ministres ou leurs conseillers que l'hécatombe est devant nous, qu'il y a urgence. Véritablement urgence !

Et puis, je m'aperçois que j'ai la chance de ne pas être seul. De pouvoir encore marcher, crier et me défendre.

Je me rends compte que je suis fier et heureux d'être "Act Up" Paris, d'en être "la présidente", de pouvoir nous défendre.

Au fait, Docteur, si demain vous me proposez des quetsches pour durer encore un peu, je les prendrai jusqu'au dégoût, parce qu'il faut bien l'avouer ici : j'ai envie de vivre, et pas seulement pour faire chier le monde". Je vous remercie.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

La parole est à Alice COFFIN.

Mme Alice COFFIN. - Merci, Monsieur le Maire, bonjour à toutes et tous.

Entre 1989 et 1996, 10.000 Parisiennes et Parisiens meurent du Sida, ce qui représente près de 1 décès sur 10 pendant cette période. C'est toute une génération qui est fauchée dans certains milieux, notamment dans la communauté gay, la diaspora afro-caribéenne et la jeunesse où circule l'héroïne.

Je cite ici l'exposé des motifs qui président à la dénomination d'une place des combattantes et combattants du Sida, citation à laquelle je pourrais ajouter celle d'Elisabeth LEBOVICI, activiste lesbienne et combattante du Sida pour reprendre les termes de cette plaque, critique d'art aussi, qui écrit dans son livre : "ce que le Sida m'a fait : au temps du Sida nous vivons et mourrons toutes et tous en Sida, peu importe que nous mourions ou non du Sida".

Merci à celles et ceux qui ont porté ce projet. Jean-Luc ROMERO-MICHEL, Laurence PATRICE, Anne SOUYRIS, et aussi d'abord aux associations. Le terme choisi de combattantes et combattants est fondamental, mais paradoxal lorsqu'il émane d'un pouvoir public. Car, s'il est un combat que les militantes et militants ont eu à mener, c'est un combat contre les silences, l'ignorance délibérée, la cruauté, et la violence des pouvoirs publics envers les malades, leurs amours, leurs amis.

C'est toujours un peu compliqué quand le pouvoir prend la décision d'honorer des personnes que précisément dans un temps plus ou moins ancien, il a contribué à stigmatiser et oppresser. C'est complexe. Il ne faut pas nier cette complexité. C'est important et constructif de faire cet hommage. Cela soulève également beaucoup de questions auxquelles on va essayer de répondre.

Pendant des années, le 1er décembre, journée mondiale de la lutte contre le Sida, les activistes étaient très seuls pour dénoncer les hypocrisies, les mensonges du pouvoir politique.

Alors, pour se réjouir grandement de l'inauguration à venir le 1er décembre prochain de cette plaque, et je m'en réjouis, je pense qu'il faut comme d'habitude avec les hommages - j'avais eu l'occasion de le souligner à l'occasion de celui offert par la Ville à Virginia Woolf - s'interroger. Suivons-nous les préceptes de celles et ceux que nous honorons ? Avons-nous vraiment, y compris pourquoi pas après les avoir muselés, fini par entendre et comprendre leur message ?

Pour les combattantes et combattants du Sida, cela veut dire respecter et aider celles et ceux pour qui se démenaient ces combattants, qui étaient au carrefour de nombreuses luttes, celles pour les migrants et les migrantes, les toxicomanes, les travailleuses du sexe.

Hélas, une actualité extrêmement récente et toujours présente illustre les situations encore désastreuses dans lesquelles ces personnes sont laissées, mais je veux aussi le voir avec optimisme et penser que le fait que la Mairie de Paris appose cette plaque, c'est la reconnaissance de la pérennité et de la postérité d'une lutte. Car ces combattantes et combattants n'ont pas seulement sauvé des vies ou des années de vie, ils et elles nous ont aussi transmis d'époustouflantes méthodes de lutte. Je n'ai pas participé à un seul groupe activiste depuis 20 ans qui ne s'inspire d'"Act Up". C'est pourquoi je pense que nous ne pouvons pas à la fois honorer, et merci encore à celles et ceux, associatifs ou politiques, qui l'ont permis, les combattantes et combattants, et dans le même temps mener des procédures judiciaires à l'égard d'activistes, de militants, ce que s'appliquent à faire plusieurs élus de cette assemblée. Rendre hommage aux combattantes et combattants du Sida, c'est penser à ceux qui sont morts, mais aussi à celles et ceux qui vivent parfois dans la plus grande précarité en raison précisément des luttes qu'elles et ils ont menées. Aller chercher du boulot en tant qu'activiste ou ex-activiste, c'est plus que compliqué. Je pense à ce titre que les actions actuellement entreprises par la Mairie de Paris, par exemple pour le centre de la rue Malher, vont dans le sens d'une aide à la professionnalisation, la rémunération indispensable du tissu militant français. Enfin, respecter ces combattantes et combattants, c'est aussi respecter leur mémoire et la transmission de cette mémoire pour que celles, ceux qui s'interrogent en passant devant cette plaque trouvent aisément des réponses. C'est le sens du projet de la maison des archives lesbiennes, gay, bi, trans, auquel nous travaillons depuis le début de ce mandat et qui laissera aussi une place à la mémoire des luttes contre le V.I.H. Là encore je pense, en saluant le travail actuel du cabinet de Jean-Luc ROMERO-MICHEL, celui passé et encore présent de David BELLIARD, et celui de l'ensemble des élus de cette Assemblée qui avait voté le v?u à l'unanimité, et activistes, que nous avançons bien, très bien même, plus vite en un an que depuis les décennies précédentes pendant lesquelles ce projet était déjà à l'étude, et ce, grâce au travail des militantes et militants et à celui des personnes que j'ai citées. Je termine cette intervention en citant Anne SOUYRIS, qui expose très bien les raisons pour lesquelles précisément cette plaque ne tombe pas à côté, car notre adjointe à la santé souligne comment, grâce aux combattantes et combattants du Sida, le patient est devenu expert de sa santé. Comment la notion de "mon corps m'appartient" est enfin entrée dans le domaine de la santé grâce à ces combattants. Je cite donc, "C'est le combat pour la démocratie sanitaire que nous devons continuer à mener". Pour une fois, une plaque n'est pas qu'un hommage, mais un appel qui reste d'actualité. Merci.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

La parole est à Mélody TONOLLI.

Mme Mélody TONOLLI. - Monsieur le Maire, chers collègues, Sida, ces quatre lettres acronymes de syndrome immunodéficient acquis, allaient lourdement peser sur nos vies et pour longtemps. Comme dans le cas d'autres pandémies, les gouvernements étaient pris de court, et reconnaissons-le, la plupart loin d'être à la hauteur du séisme.

Car après tout, cette maladie ne touchait qu'une petite partie de la population. Des hommes jeunes homosexuels, des Africains, des héroïnomanes, des hémophiles, ouvrant ainsi la porte à toutes les discriminations. "Ils l'ont bien cherché, maladie des drogués, cancer des pédés" pouvait-on parfois entendre.

Mais à la différence des humains, un virus ne connaît ni le racisme, ni l'homophobie, ni la haine, ni la bêtise. Petit à petit il s'est propagé dans l'ensemble de la population et a causé à ce jour plus de 35 millions de morts depuis son apparition. Il en aura fallu des combattantes et des combattants pour affronter ces préjugés. D'abord apparu à San Fransisco et New York, toutes les grandes villes d'échange et d'ouverture sur le monde ont été touchées à leur tour. Paris en particulier a payé un lourd tribut avec plus de 10.000 morts en quelques années. Dès le début de cette épidémie, des femmes et des hommes se sont élevés pour partir en guerre contre cette maladie que certains disaient honteuse, qui n'intéressait que trop peu les pouvoirs publics. Ils et elles étaient des scientifiques, des soignants, que l'on habillait de scaphandres tant la maladie faisait peur. Je ne peux m'empêcher de penser en cet instant au docteur Philippe Van Es, qui nous a quittés il y a quelques jours, que nous connaissions bien avec la maire du 14e, qui a accueilli dans son cabinet du 14e ces malades que personne ne voulait recevoir. Mais ils étaient aussi des bénévoles, parfois malades eux-mêmes, qui se sont dévoués pour porter assistance à celles et ceux qui étaient séropositifs ou déjà malades, se voyaient ainsi mis en retrait de la société, en perdant parfois travail et revenus, logement, mais aussi famille et amis. Ce sont aussi ces combattantes et combattants qui se sont constitués en associations pour être plus efficaces et alerter, parfois violemment les gouvernements sur leur inaction. Pendant longtemps ils ont été les seuls à prendre soin, à écouter, accompagner jusqu'à la mort. Il en aura fallu des combattantes et des combattants pour soigner et mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités. Aujourd'hui, il n'existe toujours pas de vaccin contre le Sida. Les progrès scientifiques et médicaux ont permis néanmoins, avec le développement des trithérapies, que non seulement la vie, toute la vie, soit désormais possible avec le virus, mais aussi que ces traitements puissent également empêcher la transmission du virus. Malgré ces progrès, le combat continue, mes collègues l'ont dit dans leurs précédentes interventions. Il existe encore de nombreux pays dans lesquels les malades n'ont toujours pas accès au traitement. Ainsi, le Sida reste encore la principale cause de décès dans le monde chez les femmes en âge de procréer et chez les jeunes adolescents. Pourtant, selon Winnie BYANYIMA directrice exécutive de l'ONUSIDA, en finir avec le Sida d'ici 2030 est possible si les gouvernements réduisent les inégalités qui empêchent les gens d'accéder aux services de santé, en matière de prévention et traitement. Il nous faudra donc encore des combattants et des combattantes pour venir à bout de cette maladie. C'est à tous ces combattants et combattantes, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui ont perdu la vie depuis 40 ans que nous rendons hommage aujourd'hui, grâce à la Maire de Paris et notre collègue Jean-Luc ROMERO-MICHEL, en baptisant ce lieu central de Paris "place des combattantes et des combattants du Sida". Un lieu qui permettra également de poursuivre sans faillir notre mobilisation contre ce terrible virus. Merci.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

La parole est à Camille NAGET.

Mme Camille NAGET. - Merci, Monsieur le Maire.

Madame la Maire, chers collègues, il y a 40 ans commençait un combat, un combat non pas d'une armée contre une autre, où deux adversaires se font face, visibles, identifiés, mais un combat beaucoup plus pernicieux. C'est le tout début des années 1980. Les premiers cas sont documentés depuis quelque temps, mais la méconnaissance est grande. C'est de cette méconnaissance que naît la peur, la haine, la violence.

Oui, il a fallu combattre, combattre l'ignorance d'abord en luttant contre l'opacité de l'industrie pharmaceutique et des grands laboratoires industriels, en luttant contre des personnalités politiques de tout bord, qui refusaient d'ouvrir les yeux. Combattre simplement pour que cette maladie soit étudiée, renseignée, reconnue. Combattre pour mieux éduquer, mieux sensibiliser, mieux protéger.

Il a fallu combattre, parce qu'à la méconnaissance s'est ajoutée la violence. L'homophobie crasse et indigne, dès le début des années 1980, nombreux sont ceux qui iront présenter l'épidémie comme celle d'un cancer gay, avant de se rendre compte que femmes, enfants, hétérosexuels comme homosexuels pouvaient être porteurs de la maladie.

Ces combattantes et combattants, ce sont d'abord les malades qui luttent pour survivre. Celles et ceux qui se sont battus sans aucune aide. Puis, avec des traitements expérimentaux, sans connaître leur efficacité, dans l'incertitude concernant leur destin, leur avenir.

Ces combattants, ce sont aussi ces militantes et ces militants qui se forment en associations pour mieux lutter contre les lobbys pharmaceutiques et les gouvernements aveuglés.

En France, c'est l'association "AIDS" créée par Daniel DEFERT en 1984. C'est "Act Up-Paris" créée en 1989 par Didier LESTRADE, Pascal LOUBET et Luc Coulavin. Ce sont leurs actions coup de poing radicales, toujours utiles, qui ont pu faire avancer la recherche et faire évoluer le regard porté par la société sur cette maladie. Ce sont enfin ces artistes, acteurs, chanteurs, cinéastes, écrivains, qui ont écrit, filmé, raconté leurs histoires et celles des autres. Ce sont Hervé Guibert, Mark Ashton, Arthur Ashe, mais aussi tous ces anonymes, ces centaines de milliers d'anonymes, ces générations brisées par la perte d'un proche, d'un ami, d'un amour.

Depuis les premiers cas de Sida, la pandémie a fait près de 35 millions de morts. Aujourd'hui, le combat continue pour les 37,6 millions de personnes qui portent le virus. Il continue pour les 1,7 million d'enfants qui portent le virus. Il continue pour qu'il n'y ait plus 690.000 personnes qui en meurent chaque année. Eh oui, cette épidémie tue encore en 2021. En Afrique, elle est la principale cause de décès chez les femmes de 15 à 49 ans. Dans la région, 6 infections sur 7 chez les adolescents concernent les filles. Cela, alors que le monde est en capacité de mettre fin à la pandémie.

Oui, les moyens existent. Nous regrettons que des traitements préventifs tels que la PrEP ne fassent pas l'objet de campagnes nationales de santé publique en France et dans le monde. Selon l'organisation ONUSIDA, seuls 29 milliards investis chaque année dans le monde suffiraient pour mettre fin à l'épidémie d'ici 2030. C'est l'équivalent de 0,03 % du PIB mondial, une goutte d'eau dans la marée des profits des plus riches. Nous regrettons aussi que l'Etat ait reculé en France sur les campagnes de sensibilisation et de prévention pour limiter la circulation du virus, mais aussi pour permettre de continuer d'en parler, pour permettre que celles et ceux qui sont atteints puissent prendre la parole, puissent aller se faire dépister, puissent accéder aux soins. Pour rendre hommage aux combattantes et aux combattants du Sida et rappeler que le combat continue, nous voterons ce projet de délibération en pensant à toutes celles et tous ceux qui se sont battus, ont laissé leur vie, mais continuent à vivre, et auxquels nous pensons aujourd'hui.

Je vous remercie.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

La parole est à Danielle SIMONNET.

Mme Danielle SIMONNET. - Mes chers collègues, beaucoup de choses ont été dites dans les interventions précédentes. Je pense que ce projet de délibération sera adopté à l'unanimité. En tout cas, je le souhaite.

Il est extrêmement important de bien prendre conscience que faire un devoir de mémoire, c'est un devoir humaniste, de souvenir pour toutes celles et tous ceux qui ont combattu hier, et donc un devoir aussi pour poursuivre ce combat.

Pour poursuivre ce combat, et de quelle nature est ce combat ? Ont-ils été des combattantes et combattants contre le Sida, ou ont-ils et devons-nous être des combattantes et des combattants contre l'inaction contre le Sida ? Contre la déresponsabilisation des pouvoirs publics contre le Sida ? En clair, on pourrait presque dire par provocation, est-ce qu'on meurt vraiment d'une épidémie, ou est-ce qu'on meurt parce que les pouvoirs publics n'ont pas agi à la hauteur contre l'épidémie ?

Je pense que c'est ainsi qu?il faut le prendre, parce que nous sommes une communauté d'hommes et de femmes qui décident de changer le cours de l'histoire, pour rendre les gens heureux. La question de la santé est essentielle. La question du Sida est toute particulière, parce que si notre vie est quelque chose de très intime, le Sida en appelle encore plus à notre intimité.

Les combattantes et combattants d'hier, pour moi oui, j'aime cette phrase d'"Act Up" qui dit : "nous sommes des combattants contre l'épidémie politique". J'aime le prendre sous cet angle.

Parce qu?hier, ils et elles sont morts et ont combattu contre la maladie, contre leur propre mort, contre celle de leurs proches, ce combat extrêmement dur, extrêmement violent. Ils ont combattu contre toutes les discriminations, que ce soit le Sida qui était considéré comme le cancer gay, le cancer des drogués, le cancer des Africains, le cancer des "séropos". Ils combattent contre la sérophobie et aussi contre le mépris et l'insuffisance des politiques publiques.

Pas assez de moyens pour la recherche ; pas assez de moyens pour les dispositifs "aller vers", aller vers toutes et tous, mais aussi vers les personnes les plus à risque, qu'il s'agisse des personnes prostituées, des jeunes, des personnes issues de l'immigration, des milieux LGBT. Mais lutter contre toutes les formes de discrimination, lutter pour que tout le monde ait accès au traitement, et lutter contre le silence et l'inaction, parce que la sérophobie continue à sévir en France. Ce combat est toujours actuel, parce que si les chiffres d'hier, terribles, heureusement ne sont plus aujourd'hui, ils ont été rappelés par d'autres collègues avant moi et présentés dans l'exposé des motifs, entre 1989 et 1996, 10.000 personnes sont mortes du Sida, soit 1 décès sur 10 à Paris, ce qui est énorme. Aujourd'hui, en France, on est toujours dans une situation où l'épidémie reste d'actualité. 6.000 nouvelles contaminations chaque année. L'Ile-de-France est particulièrement touchée, avec un tiers des personnes qui vivent avec le V.I.H. 24.000 personnes sont atteintes sans le savoir du V.I.H. en France. En France, des personnes âgées de 18 à 75 ans n?ont jamais réalisé de dépistage concernant le virus du Sida. Le combat doit se poursuivre. Cette place en mémoire des combattantes et des combattants contre le Sida doit être un point d'étape pour poursuivre et amplifier le combat, pour faire véritablement un Paris sans le Sida. Je vous remercie.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

Pour conclure les interventions, la parole est à Boris JAMET-FOURNIER.

M. Boris JAMET-FOURNIER. - Beaucoup de choses ont été dites par mes collègues sur l'épidémie, sur celles et ceux qui lui ont tenu tête. Avec leur tête justement, mais aussi avec leurs corps et tout leur être.

Je pense à ces personnes vivant avec le V.I.H. bien sûr, d'aujourd'hui et d'hier, voilà des combattantes et des combattants. Mais aussi, je pense aux personnels soignants, voilà des combattants et des combattantes. Je pense aux chercheuses et aux chercheurs, voilà des combattantes et des combattants. Je pense aux familles, aux proches, voilà des combattantes et des combattants. Je pense aux activistes, voilà des combattantes et des combattants bien sûr.

Il faut parler du Sida pour ne pas oublier toutes ces souffrances, toute cette volonté, tous ces combats et toutes ces victoires aussi, parce qu'il y en a. Il faut en parler pour le passé, mais aussi, évidemment, pour le présent et l'avenir. Avec cette dénomination, c'est ce que fait la Ville de Paris.

Il faut parler du Sida, et notamment il faut en parler aux jeunes. Selon un récent sondage de 2021, les jeunes de 15 à 24 ans ont une connaissance de plus en plus limitée de la prévention des maladies sexuellement transmissibles. Ces jeunes sont de plus en plus nombreux à réactiver de vieux préjugés, peut-être troublés par cette pandémie mondiale qui nous a tous affectés. 24 % des jeunes pensent que le virus se transmet en embrassant une personne séropositive en 2021, alors que c'était 15 % en 2020. On voit une évolution très préoccupante de ces préjugés. 18 % pensent qu'il est transmissible en buvant dans le verre d'une autre personne.

Dans le même temps, la peur du Sida diminue chez les jeunes, 63 % en ont peur, quand c'était 72 % en 2020. Près de la moitié estime que leur tranche d'âge, les jeunes, est moins touchée que les autres par l'épidémie, ce qui est évidemment faux.

Cette place devait donc voir le jour à Paris, qui se veut une ville sans Sida, selon l'expression consacrée, qui fait tout pour.

Cette place devait voir le jour à Paris, notamment à Paris Centre, car le Marais, ces 3e et 4e arrondissements qui nous sont aussi chers ont bien sûr une histoire particulière avec le V.I.H. Paris agit contre le Sida et Paris Centre en particulier, je veux citer quelques opérations comme celles menées aux côtés d'"AIDS" place des émeutes de Stonewall, cher Gauthier CARON-THIBAULT, à quelques pas d'ici, ou place Joachim du Bellay, avec de l'information, de la prévention, du dépistage.

Je pense aussi à la grande opération menée aux côtés d'"AIDS" avec les établissements de nuit, en février et mars 2021. J'ai participé, je me souviens notamment de la mobilisation du dépôt pour proposer des actions de même type, d'information, prévention, dépistage.

Et puis, Paris Centre met également en avant des structures, le Spot Beaumarchais d'"AIDS", qui propose une offre de santé globale mais aussi une offre de santé sexuelle, avec un focus spécifique sur le "chemsex", qui permet de toucher des publics singulièrement exposés au V.I.H.

Je pense aux appartements thérapeutiques de Basiliade pour permettre l'hébergement de personnes vivant avec le V.I.H. Je pense aussi au Checkpoint Kiosque Infos Sida du groupe SOS, qui est encore à Saint-Paul pour quelques mois, avant de déménager. C'est donc Saint-Paul, cet endroit où nous honorerons les combattantes et les combattants du Sida, ce lieu de rencontre si iconique, peut-être un peu moins grand que la Villette, mais vraiment très symbolique, aux portes du Marais, à mi-chemin entre la place de la Bastille et la place de Grève, qui sont des lieux de combat s'il en est. Et donc, chers collègues, j'ai hâte de vous y retrouver toutes et tous dès le 1er décembre, pour notre rendez-vous annuel.

Je vous remercie.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup.

Pour vous répondre, la parole est à Jean-Luc ROMERO-MICHEL.

M. Jean-Luc ROMERO-MICHEL, adjoint. - Merci, Monsieur le Président, cher Jérôme, chère Geneviève, chère Alice, chère Mélody, chère Camille, chère Danielle et cher Boris, merci pour vos belles interventions, qui me donnent l'occasion de défendre ce projet de délibération important.

Je voudrais le dédier aujourd'hui à un des pionniers de la lutte contre le Sida, qui nous a malheureusement quittés hier, le professeur Mouton, un humaniste et un grand professeur, à qui nous devons beaucoup.

C'est donc évidemment avec une émotion que je m'exprime sur ce projet de dénomination, pour lequel je me suis bien sûr beaucoup investi, qui représente beaucoup, j'en suis sûr, pour de nombreuses personnes vivant comme moi depuis plus de 30 ans avec le VIH/sida.

J'en profite pour remercier ma collègue et amie Laurence PATRICE, sans laquelle ce projet n'aurait jamais été possible, et avec laquelle nous avons pendant plus d'un an, cherché à trouver le lieu adéquat et la dénomination la plus juste dans un esprit de grande camaraderie, et en accord avec les associations. Merci beaucoup, Laurence, pour ton investissement de chaque heure pour ce projet.

Je salue aussi le travail de ma collègue Anne SOUYRIS, qui sur ce sujet comme tant d'autres s'est particulièrement mobilisée, dont on connaît le courage, et bien sûr, notre ami Maire de Paris Centre, Ariel WEIL, qui nous a tant aidés à trouver le lieu et qui va, comme le rappelait Boris, l'accueillir.

En effet, il vous est proposé aujourd'hui de rendre hommage aux personnes décédées, et à toutes celles et tous ceux vivant avec le VIH/sida, ainsi que toutes les militantes et tous les militants.

Ce projet de dénomination rappelle également le combat des personnels soignants et des accompagnants.

En attribuant la dénomination "place des combattantes et des combattants du sida" à une portion du terre-plein séparant la rue de Rivoli et la rue Saint-Antoine, Paris va rejoindre les très rares villes dans le monde qui ont choisi dans leur nomenclature, de rappeler le combat qu'a été et qu'est, comme beaucoup d'entre vous viennent de le rappeler, l'épidémie de VIH/sida.

Ce n'est donc pas simplement une plaque, c'est bien une place, et nous aurons aussi l'occasion de parler d'autres projets de mémoire, je pense, au centre d'archives qu'ont évoqué Jérôme et Alice, et bien sûr aussi la rue Malher.

Depuis les premiers cas de VIH/sida documentés aux Etats-Unis au début des années 1980, la pandémie, beaucoup d'entre vous l'ont rappelé, a fait 35 millions de morts. La France, Paris en particulier, a été particulièrement frappée par ce qui était considéré comme une maladie honteuse qui l'est encore beaucoup, stigmatisante, qui était attribuée au départ aux quatre H, les homosexuels, les héroïnomanes, les Haïtiens et les hémophiles, et qui aujourd'hui stigmatise toujours plus que jamais les usagers de drogue, les gays, les migrants ou les travailleuses et travailleurs du sexe.

Ville ouverte sur le monde, Paris est ainsi la capitale européenne la plus touchée, on l'a rappelé et c'est important de le dire, parce que 10.000 morts dans notre ville, des frères, des s?urs, des parents, des enfants, 1 décès sur 10 à l'époque comme l'ont aussi rappelé Alice et Mélody. C'est toute une génération qui est fauchée dans certains milieux, notamment dans la communauté gay, dans la diaspora afrocaraïbéenne, et dans une partie de la jeunesse où circule l'héroïne.

C'est à Paris en 1983, la bonne nouvelle, que l'équipe de l'Institut Pasteur, menée par la professeure Françoise BARRÉ-SINOUSSI, identifie ce virus qui est responsable du sida et grâce notamment à une intuition, rendons-lui aussi hommage, au professeur Willy ROZENBAUM.

Cette découverte scientifique majeure, qui sera couronnée du prix Nobel de médecine, est le résultat d'une mobilisation unique de médecins et chercheurs de différentes disciplines et qui croisent leurs savoirs, face à une catastrophe qui submerge les hôpitaux.

C'est à Paris, enfin, qu'ont été fondées, et cela a été rappelé, les principales associations françaises de lutte contre l'épidémie, avènement d'une nouvelle forme de militantisme où le patient est acteur de sa propre santé, qui est fondée sur la parole des malades. "Vaincre le sida", qui fut la première association, on l'oublie, mais ce fut elle, la première association au tout début, puis "AIDS", et bien sûr "Act Up" et tant d'autres.

Même s'il n'existe toujours aucun vaccin permettant de se protéger du VIH, le combat contre le Sida a quand même été marqué, rappelons-le, par de grands succès au premier rang desquels la mise au point de traitements antirétroviraux efficaces qui permettent aujourd'hui aux personnes séropositives d'avoir une espérance de vie similaire à celle d'une personne séronégative et surtout, on l'oublie aussi trop souvent, de ne plus transmettre le virus sans oublier bien sûr la PrEP, dont vous avez été nombreuses et nombreux à parler.

Le combat n'est malheureusement pas terminé. D'après le fonds des Nations unies pour la population, le Sida reste la principale cause de décès chez les femmes en âge de procréer et les jeunes adolescents.

L'ONUSIDA déplore toujours une stigmatisation restreignant l'accès aux informations, aux services essentiels de prévention et bien sûr au traitement du V.I.H.

En 2020, vous l'avez rappelé mais il faut le dire, parce que les chiffres sont importants, on l'oublie, aujourd'hui, une épidémie en fait disparaître une autre : 37,6 millions de personnes vivent avec le VIH, dont 1,7 million d'enfants. Cette même année, c'est donc 1,5 million de personnes qui ont été infectées, 690.000 morts, c'est-à-dire 2.000 morts par jour. Et le Covid a tout aggravé, on est loin des 28 milliards qu'il faudrait pour résoudre cette crise qu'évoquait notre collègue Camille ou encore de cette grande mobilisation politique que tu évoquais, Danielle.

Mes chers collègues, un monde sans sida est tout de même toujours possible à l'horizon de 2030, mais ce possible n'existe que grâce à l'action des combattantes et combattants qu'il nous revient de saluer et d'honorer et Paris sans sida y prend sa place. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous appelle à soutenir ce projet de dénomination qui fait suite à un long travail en lien avec les associations. Dans les mois qui viennent, cher Jérôme, chère Geneviève, chère Danielle, avec le maire de Paris Centre, Ariel WEIL, et bien sûr Laurence, nous ferons des propositions, nous nous sommes engagés pour animer cette place, en faire un lieu du souvenir, un lieu de mémoire complémentaire à celui de la Villette et plus que jamais un lieu militant pour les combattantes et combattants du Sida. Je vous remercie.

M. Emmanuel GRÉGOIRE, premier adjoint, président. - Merci beaucoup, Jean-Luc ROMERO-MICHEL.

Je mets aux voix, à main levée, le projet de délibération DU 123.

Qui est pour ?

Contre ?

Abstentions ?

Le projet de délibération est adopté à l'unanimité. (2021, DU 123).

Je vous remercie.

 

Novembre 2021
Débat
Conseil municipal
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