retour Retour

2005, DU 44 - Attribution de la dénomination “place Justin Godart” à un espace du 6e arrondissement de Paris. 2005, DU 59 - Attribution de la dénomination “place Benjamin Fondane” à un espace public situé dans le 5e arrondissement de Paris. 2005, DU 77 - Attribution de la dénomination “place des 44 enfants d’Izieu” à une place du 13e arrondissement de Paris. 2005, DU 87 - Attribution de la dénomination définitive “place Marcel Paul” à une place située dans le 14e arrondissement de Paris.


M. LE MAIRE DE PARIS. - Nous allons donc commencer nos travaux par l?examen en 8e Commission de quatre projets de d�lib�ration qui ont trait � l?attribution de d�nomination de places � Paris. Il s?agit de la place Justin Godart, de la place Benjamin Fondane, de l?attribution de la d�nomination place des 44 enfants d?Izieu, et de l?attribution de la d�nomination d�finitive place Marcel Paul. Je voudrais introduire toutes ces d�lib�rations par quelques mots.

Mes chers coll�gues, il y a 60 ans jour pour jour, le 18 avril 1944, les autorit�s fran�aises accueillaient au Bourget plusieurs personnalit�s rapatri�es du camp de Buchenwald. Peu � peu les Fran�ais, comme le reste du monde, allaient apprendre de la bouche des survivants, des 40.000 survivants l?horreur du syst�me concentrationnaire nazie. Pour tenter de pr�server l?avenir d?une telle barbarie, il est essentiel de faire vivre la m�moire, le souvenir au service de la connaissance et surtout de la v�rit�.

Les valeurs qui fondent notre civilisation sont au coeur de cet enjeu. C?est pourquoi la Ville de Paris s?est totalement engag�e dans ce 60e anniversaire afin de rendre hommage aux derniers survivants des camps et de contribuer � cette action d�cisive.

Ainsi le 10 janvier dernier, nous avons re�u l?Union des anciens d�port�s d?Auschwitz et nous accueillerons en mai puis en octobre les Congr�s des deux grandes f�d�rations de d�port�s.

Nous avons aussi organis� une exposition autour des 60 t�moignages de survivants d?Auschwitz et de Bergen Belsen, cette exposition a accueilli pr�s de 26.000 visiteurs. Cette semaine, nous inaugurons en outre une exposition au m�morial Leclerc autour des femmes oubli�es de Buchenwald, ces femmes, qui ont travaill� comme des esclaves pour l?industrie allemande, et un DVD retra�ant l?histoire de la d�portation va �tre aussi largement diffus� parmi les lyc�ens de notre Ville.

Enfin, en souvenir de nos parents et de nos grands-parents qui, il y a 60 ans, attendaient avec anxi�t� le retour des d�port�s, des prisonniers, nous organiserons une exposition hors les murs. Celle-ci prendra la forme de colonnes implant�es dans plusieurs lieux de m�moire de la d�portation, telle que l?ancien Vel d?Hiv ou l?h�tel Lutecia.

Quand aux quatre projets de d�lib�rations qui vous sont maintenant soumis, ils visent � inscrire dans la trame de notre cit�, la m�moire de cette d�portation et l?hommage de Paris aux victimes de l?abjection nazi et � ceux qui l?ont combattue.

Le R�sistant communiste Marcel Paul, qui apr�s la guerre fut le fondateur puis le pr�sident de la F�d�ration nationale des d�port�s et intern�s r�sistants patriotes, nous montre la voix du courage et de la pers�v�rance, lui qui affronta l?oppresseur nazi jusque dans le camp de Buchenwald.

Le parlementaire antimunichois Justin Godart, ancien pr�sident d?honneur du Comit� mondial du m�morial du martyr juif inconnu refusa en 1940 de donner les pleins pouvoirs � P�tain.

Il s?engagea par la suite dans la R�sistance, en aide � des r�fugi�s et porta assistance � l?organisation de secours aux enfants.

Le nom de Benjamin Fondane entre lui aussi en r�sonance avec le courage et le sacrifice, puisqu?il refusa d?abandonner sa s?ur et mourut dans la chambre � gaz de Birkenau. Quand aux quarante-quatre enfants d?Izieu, rafl�s avec sept adultes par les hommes de Klaus BARBIE et assassin�s � Auschwitz, ils symbolisent l?ignominie du syst�me nazie et de ses complices de Vichy.

Primo Levy a �crit : c?est arriv�. Cela peut donc arriver de nouveau.

Cela peut se passer et partout.

Fort de ce message, Paris n?oublie pas. Paris veut prendre sa part dans ce combat incessant contre l?ignorance et la haine. Pour la paix, l?avenir et la p�rennit� de notre civilisation, je vous demanderai d?adopter ces d�lib�rations.

(Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et radical de gauche, communiste, du Mouvement r�publicain et citoyen et ?Les Verts?).

La conf�rence d?organisation a pr�vu de donner cinq minutes � chaque groupe pour s?exprimer sur ce sujet. Je donne d?abord la parole � M. G�rard LEBAN pour le groupe U.M.P.

M. G�rard LEBAN. - Merci, Monsieur le Maire.

Mes chers coll�gues, il n?est pas ais� de prendre ainsi la parole pour honorer la m�moire d?hommes ou d?enfants qui dans un autre temps, une autre �poque ont donn� leur vie, ont �t� martyris�s � tout jamais parce qu?ils �taient diff�rents. Et qu?avaient-ils de si diff�rent, les quarante-quatre enfants d?Izieu qui n?ont pas eu la chance de grandir ? Extermin�s dans les camps de la mort parce qu?un homme, un seul en avait d�cid� ainsi. Peut-�tre seraient-ils devenus Prix Nobel de la paix, po�te ou philosophe ? Sans doute, seraient-ils mari�s, auraient-ils eu des enfants � qui transmettre tout cet amour qu?ils n?ont pas eu le temps de partager. Sans doute se seraient-ils content�s d?�tre des adultes ordinaires comme vous et moi. Comment ne pas penser � ces petits visages qui ont pleur� seuls dans les trains de la mort et dont le destin s?est arr�t� brutalement � cause de la folie des hommes.

Comment ne pas se souvenir de h�ros tels que Justin Godart, ?juste parmi les Nations? qui a d�di� son existence aux plus faibles, � tous ceux � qui la vie n?avait jamais souri. C?est en d�fendant ses convictions qu?il a connu l?indicible, la souffrance et l?humiliation des camps de concentration.

Comment ne pas se souvenir de Benjamin Fondane qui a pr�f�r� mourir avec sa s?ur dans les chambres � gaz d?Auschwitz plut�t que d?�tre sauv� sans elle. Il a sacrifi� sa vie et son talent pour des id�es simples, des id�es de paix et d?amour. Sans doute la libert� dans les heures les plus sombres de notre histoire �tait-elle � ce prix.

Comment ne pas se souvenir de Marcel Paul, n� Marcel Dubois, r�sistant d�port� � Auschwitz puis � Buchenwald. Il a pu revenir et t�moigner. Sans doute par souci de sauver la m�moire de ceux qui n?ont pas eu sa chance, il a d�di� sa vie � la chose publique. Homme politique et syndicaliste, il a mis � profit son exp�rience pour servir les autres.

En cette ann�e de comm�moration du 60e anniversaire de la Lib�ration des camps de concentration, la Municipalit� parisienne se devait de rendre un hommage appuy� � tous ceux, connus ou inconnus, qui ont souffert dans l?antichambre de la mort.

Moi-m�me, j?ai �t� arr�t� � Voiron par la Milice en 1944 � l?�ge de 13 ans comme d?autres adolescents engag�s dans la R�sistance porteurs de messages.

Mes parents et leurs proches ont �t� tortur�s - beaucoup sont morts durant leurs interrogatoires -, mais je n?ai pas connu les camps o� tout �tait fait pour an�antir la personne et pour la d�shumaniser.

Il est de notre devoir de t�moigner notre respect � ces hommes, � ces enfants qui auraient pu �tre vous, moi, n?importe qui.

Pour que la tol�rance, pour que l?amour restent � jamais inscrits dans notre m�moire collective - pardonnez-moi mon �motion ! -, il nous faut baptiser des places, des rues, des carrefours en l?honneur de ces h�ros tomb�s trop t�t.

Il faut que nos enfants, nos petits-enfants et toutes les g�n�rations � venir puissent laisser aller leur curiosit� et nous interrogent sur la signification des noms qui composent leur adresse. Ainsi ils sauront qui �taient ces enfants d?Izieu, qui �tait Marcel Paul, Justin Godart ou Benjamin Fondane et tous les autres dont les noms jalonnent les rues de Paris.

Il est de notre devoir de faire ce travail de m�moire pour que tous ceux qui sont morts ou qui ont souffert dans les camps puissent atteindre une petite parcelle d?�ternit�.

(Applaudissements de tous les bancs de l?Assembl�e).

M. LE MAIRE DE PARIS. - Monsieur LEBAN, nous avons non seulement beaucoup de respect pour votre �motion mais beaucoup de consid�ration, et je vous remercie de cette belle et vraie intervention.

Je passe la parole � M. Georges SARRE.

M. Georges SARRE, pr�sident du groupe du Mouvement r�publicain et citoyen, maire du 11e arrondissement. - Monsieur le Maire, mes chers coll�gues, voici 60 ans, les Parisiens lib�r�s depuis l?�t� pr�c�dent, vivant au rythme des victoires des troupes alli�es sur les arm�es hitl�riennes, voyaient des femmes et des hommes, des enfants, au costume ray� et au regard empli d?une profonde et incommensurable d�tresse, arriver � Paris � l?h�tel Lut�tia, revenus de l�, dont personne ne devait revenir, apr�s avoir fait l?exp�rience de l?indescriptible, de l?indicible.

La machine concentrationnaire venait de broyer des millions de vies et n?avait eu de cesse, des ann�es durant, d?annihiler en chaque individu toute trace d?humanit�. D�shumaniser, tel �tait le but de ce que David Rousset a appel� ?l?univers concentrationnaire?.

Aucun d�port� ne devait revenir, aucun ne devait pouvoir raconter ce qu?il avait subi et vu. La mort ne devait avoir pour seul complice que le silence.

R�sistants soumis au d�cret ?Nacht und Nebel?, juifs traqu�s, rafl�s par les troupes d?occupation et leurs alli�s, prisonniers politiques ou r�fugi�s livr�s aux nazis, tziganes, homosexuels, tant de femmes et d?hommes ont �t� victimes de l?horreur du syst�me concentrationnaire ! Jamais dans l?histoire du monde, un tel g�nocide n?avait eu lieu.

Paris honore aujourd?hui l�gitimement Justin Godart, Benjamin Fondane, les enfants d?Izieu et Marcel Paul. Chacun a v�cu la d�portation.

Il nous appartient de comprendre comment le Gouvernement de Vichy a pu usurper la l�gitimit� r�publicaine pour venir au-devant des demandes de l?occupant. Comprendre pourquoi, en France, contre toute tradition historique, ont �t� cr��s le Commissariat g�n�ral aux questions juives et la Milice.

Mais il nous appartient aussi d?honorer les victimes du nazisme et de ses s�ides collaborationnistes, ces femmes et ces hommes traqu�s parce que ?non aryens?, parce que juifs, parce que r�sistants, ceux qui ont �t� d�port�s pour leurs opinions patriotiques ou progressistes.

L?histoire, c?est un devoir d?intelligence. Pour les nouvelles g�n�rations, l?exemple d?hommes comme Marcel Paul vaut d?�tre m�dit�. Car ce dernier, comme beaucoup, n?a pas arr�t� le combat � son retour en France.

Notre Assembl�e a donc raison de lancer ce d�bat, car le souvenir des victimes ne doit pas s?�teindre.

Quant aux id�aux de r�sistance, ceux que Marcel Paul portait, ceux du C.N.R., ils doivent de nouveau guider les pas de nous tous et de gouvernants responsables et tourn�s vers le progr�s.

Je vous remercie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Mouvement r�publicain et citoyen).

M. LE MAIRE DE PARIS. - Merci, Georges SARRE.

La parole est � Patrick BLOCHE.

M. Patrick BLOCHE. - Merci, Monsieur le Maire.

Monsieur le Maire, mes chers coll�gues, en attribuant des d�nominations � quatre places de notre Ville, nous poursuivons ce matin le travail de m�moire qui, tout au long de cette ann�e, nous permet de comm�morer la trag�die de la d�portation, 60 ans apr�s la lib�ration des camps de la mort.

Aujourd?hui encore, les premi�res images des survivants, en v�tements ray�s, au corps d�charn� et dont les regards derri�re les barbel�s refl�tent toute la souffrance et l?horreur v�cues, nous bouleversent au plus profond de nous-m�mes.

Les paroles de celles et ceux qu?on appelle les ?derniers t�moins?, entendues � l?H�tel de Ville le 16 janvier dernier, ou dans le cadre de l?exposition qui leur a �t� consacr�e, ou encore lors de l?inauguration du m�morial de la Shoah, avec les mots prononc�s par Elie WIESEL, nous glacent le sang, suspendent notre souffle et troublent notre vision.

Ce qu?ils ont endur� est si inhumain que le ?plus jamais �a? qu?ils nous l�guent exige de nous et des g�n�rations qui nous succ�deront une vigilance qui ne peut souffrir de d�faillance. Le travail de m�moire que nous r�alisons n?en est de fait que plus indispensable.

A ce titre, le choix de ceux � qui nous rendons hommage aujourd?hui est hautement symbolique.

C?est le lumineux po�te et philosophe Benjamin Fondane, n� roumain et devenu fran�ais par choix, � la veille de la guerre, arr�t� par la police fran�aise parce que juif, et qui refusa d?�chapper � la d�portation pour ne pas laisser sa s?ur partir seule pour Auschwitz.

C?est Marcel Paul, le syndicaliste, le communiste, l?�lu municipal du 14e arrondissement, l?inlassable r�sistant, y compris au sein m�me du camp de Buchenwald, et qui deviendra Ministre du G�n�ral de Gaulle � la Lib�ration.

C?est Justin Godart, l?�lu de Lyon, dont il sera le maire au sortir de l?occupation, l?homme politique humaniste, �pris de social et soucieux des droits des travailleurs, le parlementaire refusant les pleins pouvoirs � P�tain en 1940, le r�sistant qui sauvera la vie de nombreux juifs et qui, � ce titre, sera reconnu ?juste parmi les Nations?.

Ce sont les 44 enfants martyrs d?Izieu dont le destin tragique est sans aucun doute le plus bouleversant. Songeons � ces enfants juifs, r�fugi�s, pris en charge par Sabine et Miron Zlatin apr�s la fermeture des maisons d?enfants de l?O.S.E., et que ce couple h�ro�que tenta d�sesp�r�ment de pr�server de la barbarie nazie avant que leur route faite d?errance et de clandestinit� ne croise celle de Klaus Barbie. Les 44 enfants d?Izieu furent tous assassin�s � leur arriv�e � Auschwitz. Leur extermination donne toute la dimension g�nocidaire de la Shoah et leur martyre, comme celui de tous les enfants juifs des �coles parisiennes, auxquels nous rendons progressivement hommage avec les �l�ves d?aujourd?hui, reste le plus terrible et le plus insoutenable.

Aussi, c?est en ayant � l?esprit d?autres paroles simples et fortes de Primo Levi que le groupe socialiste et radical de gauche votera avec �motion ces quatre d�lib�rations. Je cite Primo Levi : ?Vous qui vivez en toute qui�tude bien au chaud dans vos maisons, vous qui trouvez le soir en rentrant la table mise et des visages amis, consid�rez si c?est un homme que celui qui peine dans la boue, qui ne conna�t pas de repos, qui se bat pour un quignon de pain, qui meurt pour un oui ou pour un non. Consid�rez si c?est une femme que celle qui a perdu son nom et ses cheveux et jusqu?� la force de se souvenir, les yeux vides et le sein froid comme une grenouille en hiver. N?oubliez pas que cela fut. Non, ne l?oubliez pas. Gravez ces mots dans votre c?ur, pensez-y chez vous, dans la rue, en vous couchant, en vous levant. R�p�tez-les � vos enfants.?

(Applaudissements de l?Assembl�e).

M. LE MAIRE DE PARIS. - Merci beaucoup.

La parole est � M. Didier BARIANI.

M. Didier BARIANI. - Monsieur le Maire, mes chers coll�gues, � l?occasion de l?examen de quatre projets de d�nomination des places de Paris, vous avez souhait� un d�bat et vous avez bien fait. Vous avez bien fait, car c?est donner au Conseil de Paris la possibilit� de s?inscrire dans cette ann�e de comm�moration de la lib�ration des camps de concentration.

C?est une ann�e o�, successivement, vous avez, nous avons accueilli, en mairie � la mi-janvier les d�port�s � l?occasion de la premi�re comm�moration dans la Capitale du 60e anniversaire de cette lib�ration. C?est une ann�e o� le Chef de l?Etat, le Pr�sident de la R�publique, s?est rendu le 24 janvier � Auschwitz-Birkenau � l?occasion du 60e anniversaire de la lib�ration de ce camp. Une ann�e o� ont �t� inaugur�s dans le Marais par le Pr�sident de la R�publique, par vous-m�me, Monsieur le Maire, par Mme Simone WEIL et par le Pr�sident Eric de ROTHSCHILD les nouveaux locaux du M�morial juif, ce M�morial de la Shoah, et surtout ce Mur des Noms en hommage aux 76.000 Juifs de France rafl�s et d�port�s.

C?est une ann�e o� l?on vient de c�l�brer en ce d�but de mois d?avril l?anniversaire de la lib�ration du camp de Buchenwald. C?est une ann�e o�, dans la semaine du 24 avril, nous aurons une Journ�e nationale de la d�portation qui aura une signification �videmment particuli�re, comme la comm�moration de la rafle du Vel?d?Hiv le 17 juillet prochain.

C?est bien que nous ayons aujourd?hui ce moment qui nous permet aux uns et aux autres de communier ensemble dans le souvenir de cette monstrueuse trag�die. C?est bien aussi que nous-m�mes au travers de notre r�flexion sur notre propre �motion, nous ayons � exprimer ce que nous ressentons, ce que nous ressentons non pas chaque jour d?ailleurs avec la m�me intensit�, parce qu?il y a les choses de la vie et le quotidien des choses, mais plus intens�ment aujourd?hui quand nous y r�fl�chissons et quand nous en parlons ensemble.

C?est bien aussi, car le Conseil de Paris a un r�le humble sans doute mais important dans la transmission du souvenir de nos trag�dies et l?appel constant � la vigilance. Parce que la m�moire a besoin de t�moignages. Apr�s les camps, �tait-il possible pour les survivants d?exprimer l?inexplicable ? Fallait-il se taire pour oublier ? Moi aussi, je cite Primo Levi, qui a revendiqu� l?indissociable n�cessit� de survivre et de porter t�moignage. Il en a parl� et il en a parl� jusqu?� son suicide. Il disait : ?J?ai �crit tout de suite tout ce que j?ai vu et entendu, il fallait m?en lib�rer sur le plan moral, politique, civil. T�moigner �tait un devoir?.

La m�moire retient des faits concrets, des lieux � visiter pour imaginer � d�faut de comprendre tout ce que fut cette monstrueuse entreprise. Visiter Auschwitz bouleverse et l?effroi doit �tre pour chacun d?entre nous mobilisateur de notre volont� pour refuser tout de ce qui, de pr�s ou de loin, reproduirait les racines du mal. Se souvenir pour que les g�n�rations qui viendront apr�s nous ne puissent r�inventer une pareille folie criminelle et t�moigner pour que la simple �vocation des camps suscite le d�go�t et le refus.

C?est un long recueillement pour les disparus, un message et un avertissement adress� � ceux qui nous suivront. C?est un hommage profond et d?admiration pour tous ces jeunes gens et jeunes femmes aussi - parce qu?il faut bien reconna�tre que souvent ils �taient jeunes - qui ont �t� r�sistants et qui ont fait le sacrifice de leur libert� et de leur vie.

Dans ce cadre, la figure de Justin Godart, Juste parmi les Justes, est l� pour signifier qu?il existait des hommes et des femmes qui ont pu anticiper les �v�nements, les refuser et les combattre.

Benjamin Fondane, c?est l?exemplarit� du sacrifice dans le combat contre le mal.

Les 44 enfants d?Izieu, c?est l?horreur et l?ignominie de l?assassinat des plus innocents, et cela de fa�on programm�e et m�thodique.

Marcel Paul, c?est le courage engag� qui a sauv� tant de vies.

Face � cela, Jorge SEMPRUN tout r�cemment disait que ?la grande le�on spirituelle, m�taphysique, philosophique, c?est que le bien et le mal sont ancr�s dans l?homme parce qu?il est libre. Tout juste peut-on construire des barri�res efficaces, des sch�mas de droit, des obligations et des contraintes sociales pour que pr�vale la capacit� du bien. Sans pour autant construire un homme nouveau, synonyme d?utopie sanguinaire et sanglante. L?homme nouveau est toujours un monstre?.

Ceux qui l?ont �rig� en doctrine politique apr�s m�me l?Holocauste en ont administr� l?effroyable preuve avec les r�gimes concentrationnaires et les goulags, avec Pol Pot puisque c?est exactement il y a trente ans que les Khmers rouges prenaient avec ?l?Angkar? au nom d?un Kampuchea d�mocratique le pouvoir au Cambodge. Au nom d?un homme nouveau l� aussi, deux millions de Cambodgiens ont disparu.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la d�mocratie fran�aise).

M. LE MAIRE DE PARIS. - Merci.

La parole est � M. Ren� DUTREY.

M. Ren� DUTREY. - Merci, Monsieur le Maire.

Panth�ons discrets, lieux de m�moire, les noms de rue de Paris t�moignent et perp�tuent le souvenir de femmes et d?hommes qui ont marqu� l?histoire glorieuse mais parfois douloureuse de notre pays. Assur�ment, c?est le cas des quatre projets de d�lib�ration que nous votons aujourd?hui.

C?est aussi au moment o� nous comm�morons la lib�ration des camps de concentration l?occasion de nous souvenir, au travers du destin tragique des enfants d?Izieu, des crimes contre l?humanit� qui ont pu �tre perp�tr�s par des hommes contre d?autres hommes.

Freud disait : ?N?oublions pas l?oubli?. Le souvenir est fragile. C?est pourquoi il requiert de notre part une grande exigence et toute notre vigilance.

Le devoir de m�moire, dont il est question, beaucoup question, a beaucoup de mal � s?incarner. L?actualit� foisonne d?exemples d�montrant que la France a toujours beaucoup de mal � regarder Vichy en face, de m�me que son histoire coloniale, et que le racisme et l?antis�mitisme n?ont pas disparu, loin de l�. Pourtant, c?est une banalit� de le dire, la condition premi�re et indispensable pour tirer tout enseignement de cette partie tragique de notre histoire est de reconna�tre sans ambigu�t� les crimes commis.

Comme le disait si bien le philosophe Lucien Bonaf� : ?ponts de nuit et nappes de brouillard ne cessent d?�tendre leur ombre pour enliser dans les marais envahisseurs les souvenirs des actes de haine et de chasses � l?homme qui ont terni l?histoire de notre pays?.

R�sister � l?extermination dure ou douce de la m�moire, c?est se donner les moyens d?emp�cher le retour de ces infamies. Donner le nom de r�sistants et de d�port�s � des rues de Paris, c?est contribuer � lutter contre l?oubli et la banalisation. C?est aussi, modestement peut-�tre, continuer de lutter contre les repr�sentants d?id�es antir�publicaines et anti-d�mocratiques au moment o� ces derni�res deviennent de plus en plus mena�antes.

Je vous remercie.

M. LE MAIRE DE PARIS. - C?est bien le sujet, continuer � lutter contre ces id�es-l� en inscrivant d�finitivement le nom de ces h�ros dans la trame de Paris.

Madame BORVO, vous avez la parole.

Mme Nicole BORVO. - Merci, Monsieur le Maire.

Le devoir de m�moire est long, difficile et douloureux. L?�motion nous �treint, soixante ans apr�s. Pourtant nous devons le faire encore et sans rel�che pour que le ?plus jamais? soit une r�alit�.

Cela fait soixante ans que la lib�ration des camps r�v�lait au monde entier toute l?horreur de ce qui s?�tait pass� dans ces lieux de terreur inhumaine. Cela fait presque soixante ans que le Tribunal de Nuremberg a d�fini l?organisation planifi�e de l?extermination de la communaut� juive comme g�nocide ou crime contre l?humanit�. Cela fait soixante ans que l?on sait que ces millions d?enfants, de femmes et d?hommes ont �t� extermin�s parce qu?ils �taient juifs.

C?est maintenant, soixante ans apr�s, qu?on peut lire, grav� sur le Mur des Noms, le patronyme des 76.000 Juifs d�port�s par les Nazis dans les camps de la mort. Ce Mur des Noms permet enfin - mais enfin seulement - de faire resurgir l?existence de personnes qui vivaient ici parmi nous, chez elles, en France.

Nous nous inclinons devant toutes ces victimes innocentes et il est juste d?honorer leur m�moire au travers de ceux � qui nous rendons hommage aujourd?hui.

On l?a dit, Justin Godart, humaniste, Juste parmi les Nations, homme politique, a d�but� sa carri�re dans la mouvance radical-socialiste. Il a �t� toute sa vie l?avocat des pauvres, des pers�cut�s, le promoteur d?avanc�es sociales. Homme de convictions, courageux, il vote contre les pleins pouvoirs � P�tain et s?engage dans la r�sistance o� il d�fend et prot�ge la communaut� juive.

Il poursuivra son action apr�s la guerre pour que le martyr du peuple juif soit reconnu.

Benjamin Fondane, d?origine roumaine, s?est fix� � Paris � 25 ans. Po�te, philosophe, pendant la guerre il vit dans la hantise d?�tre arr�t� et d�port�. Il est juif.

Il est d�nonc� et arr�t� par la Gestapo le 7 mars 1944. On sait ce qui lui est arriv�.

En 1942, Fondane avait �crit des textes et des po�mes pr�monitoires, comme celui dont je vais vous citer un extrait :

?Je n?�tais pas un homme comme vous.

Vous n?�tes pas n�s sur les routes.

Personne n?a jet� � l?�gout vos petits comme des chats encore sans yeux.

Vous n?avez pas err� de cit� en cit�, traqu�s par les polices.

Vous n?avez pas connu les d�sastres � l?aube, les wagons � bestiaux et le sanglot amer de l?humiliation, accus�s d?un d�lit que vous n?avez pas fait, du crime d?exister.?

En citant ce texte, bien s�r, je pense aussi aux autres victimes de la barbarie que l?on cite trop peu, aux tziganes, aux homosexuels.

Comment ne pas penser aussi aux quarante-quatre enfants juifs arrach�s � leur refuge d?Izieu par la Gestapo command�e par Barbie. Tous sont morts dans les camps, sauf un.

Aujourd?hui, il est heureux que la Maison d?Izieu soit grande ouverte pour �tre un lieu de r�flexion o� les jeunes g�n�rations d�veloppent leur citoyennet�, leur vigilance contre toute forme d?intol�rance et de racisme.

Qu?il me soit permis de dire combien nous pouvons nous honorer d?inscrire enfin sur les �coles de Paris le nom des enfants juifs qui ont �t� arrach�s � leur �cole et qui ne sont pas revenus.

Je voudrais remercier ceux qui ont ?uvr� sans rel�che et qui ont recherch� les noms des enfants. Parmi eux Roland Floss, ancien conseiller de Paris, que je veux saluer � cette occasion.

Marcel Paul, grande figure ouvri�re, syndicaliste de la C.G.T., communiste, a �t� l?homme d?Etat qui, le 8 avril 1946, a �labor� la loi de nationalisation de l?�lectricit� et du gaz.

Marcel Paul, r�sistant aimait � dire lui-m�me que, tel un colporteur, il r�pandait l?id�e que jamais notre peuple ne sera un peuple d?esclaves.

Il est arr�t� le 13 novembre 1943 � Paris. Il est livr� aux Allemands en f�vrier 1944 et d�port� � Auschwitz le 27 avril 1944, puis transf�r� � Buchenwald.

Il repr�sente le parti communiste fran�ais dans la r�sistance interne du camp et il est parmi ceux qui dirigent l?insurrection du camp en 1945, aux c�t�s de ses camarades de d�portation. C?est dans ces lieux de mort qu?il intervient pour sauver la vie de Marcel Dassault.

Je voudrais rappeler que d?aucun ont essay� de salir la m�moire de Marcel Paul et je voulais simplement le signaler.

Apr�s la guerre, inlassablement, il agira au sein de la F�d�ration nationale des Intern�s, Patriotes et R�sistants.

En pensant � Marcel Paul, permettez-moi �galement d?avoir une pens�e particuli�re pour les nombreux communistes qui ont �t� d�port�s et assassin�s dans les camps parce qu?ils �taient communistes, r�sistants et juifs quelquefois.

Ces quatre personnalit�s au destin rempli d?humanit� m�ritent pleinement de voir leur nom attribu� � une place ou � une rue de Paris. Esp�rons qu?ils soient pr�sents dans nos c?urs, pour toujours.

Pour terminer, Monsieur le Maire, je voudrais saluer ce que vous avez dit et vous demander que ce soit suivi d?effet car je souhaite �videmment formuler le v?u que des femmes soient aussi honor�es prochainement, dans le cadre du soixanti�me anniversaire de la lib�ration des camps. C?est absolument n�cessaire.

Je vous remercie.

(Applaudissements sur les bancs des groupes communiste, socialiste et radical de gauche, du Mouvement r�publicain et citoyen et ?Les Verts?).

M. LE MAIRE DE PARIS. - Mes chers coll�gues, vos six interventions au nom de tous les groupes du Conseil de Paris appellent vraiment peu de remarques.

J?ai �cout� ces six interventions et je suis �mu et fier que Paris, � travers ces mots, ces engagements que vous avez exprim�s, ces convictions, puisse �tre uni pour l?essentiel.

Je veux vous dire tr�s sinc�rement que j?ai �cout� ces six interventions et j?y souscris au mot pr�s pour chacune d?entre elles. J?estime que c?est tr�s fort pour notre pr�sent et pour notre avenir, d?autant que vous venez de tenir ces propos devant des �l�ves d?une classe de sixi�me d?un coll�ge qui s?appelle Anne Frank.

C?est important. C?est important pour notre force collective. C?est important car ce que vous venez de dire vous l?avez dit au nom de Paris et nous ne pouvons rien faire, rien, de s�rieux et de civilis� dans les temps qui viennent si nous ne sommes pas unis sur ces valeurs essentielles.

Je vous en remercie donc avec vraiment beaucoup de gravit�, de s�rieux et aussi de fiert� pour notre Ville.

Je mets aux voix, � main lev�e, le projet de d�lib�ration DU 44 qui concerne la place Justin Godard.

Qui est pour ?

Qui est contre ?

Abstentions ?

Le projet de d�lib�ration est adopt�. (2005, DU 44).

Je mets aux voix, � main lev�e, le projet de d�lib�ration DU 59 qui concerne la place Benjamin Fondane.

Qui est pour ?

Qui est contre ?

Abstentions ?

Le projet de d�lib�ration est adopt�. (2005, DU 59).

Je mets aux voix, � main lev�e, le projet de d�lib�ration DU 77 qui concerne la place des 44 enfants d?Izieux.

Qui est pour ?

Qui est contre ?

Abstentions ?

Le projet de d�lib�ration est adopt�. (2005, DU 77).

Je mets aux voix, � main lev�e, le projet de d�lib�ration DU 87 qui concerne la place Marcel Paul.

Qui est pour ?

Qui est contre ?

Abstentions ?

Le projet de d�lib�ration est adopt�. (2005, DU 87).

Il est vraiment formidable que ces d�cisions aient �t� prises � l?unanimit�. Je vous en remercie beaucoup.

(Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et radical de gauche, communiste, du Mouvement r�publicain et citoyen et ?Les Verts?).

Avril 2005
Débat
Conseil municipal
retour Retour