2019 DAE 91 - Dérogations à la règle du repos dominical pour 2020.
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - Nous en arrivons au projet de délibération DAE 91 et à l'amendement n° 152 qui s'y rattache.
Le projet de délibération DAE 91 concerne les dérogations à la règle du repos dominical pour 2020. La parole est à Danièle PREMEL.
Mme Danièle PREMEL. - Oyez, oyez, c'est dimanche ! L'avis du Conseil de Paris sur la dérogation à la règle du repos dominical pour 2020 tombe dans un contexte particulier, celui d'un projet de loi permettant l'ouverture des supermarchés et commerces alimentaires après 21 heures. Légalement, les commerces d'alimentation pourraient alors ouvrir jusqu'à minuit sans compensations salariales. Vous connaissez notre position sur ce sujet, et je ne reviendrai pas longuement sur les arguments, ils sont bien rappelés dans notre amendement.
Aucun bénéfice pour le pouvoir d'achat, et donc, pas d'augmentation d'achat, déséquilibre d'une vie familiale, suppression d'un temps de respiration, difficulté de négocier pour les salariés dans les petits commerces, l'opposition des syndicats, etc., etc.
Le patronat et le Gouvernement profitent de toutes les failles pour gagner non seulement sur le plan de la réglementation, mais aussi sur le plan idéologique que l'idée soit acquise sur la banalisation du travail du dimanche.
C'est pour cela que le nombre de dimanches prend tout son sens et son importance dans la décision du nombre d'ouvertures dominicales autorisées. Madame la Maire, par une limitation à sept dimanches, vous rappelleriez la ligne rouge d'une politique qui vise au bien-être des Parisiens et à leur aspiration à une vie sociale et riche de repos et de découvertes. D'autant plus que la position que nous prendrons collectivement s'inscrit dans le temps de la tentative où Monoprix a dû reculer devant la pression des travailleurs, vous voyez que l'on y arrive parfois. Alors, je crois que le nombre d'ouvertures du dimanche sera un marqueur. Dire et redire notre position, c'est labourer le champ du temps libre. Je vous remercie.
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - Merci, Danièle PREMEL. La parole est à Léa FILOCHE.
Mme Léa FILOCHE. - Quand on s'intéresse aux raisons qui font que le dimanche est un jour chômé, on comprend rapidement que cette histoire ne date pas d'hier.
En effet, dans l'Ancien Testament, une fois n'est pas coutume, il est écrit : "pendant six jours, tu travailleras et tu feras ton ouvrage. Mais le septième jour, tu n'y feras aucun ouvrage toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton b?uf, ni ton âne, ni aucune bête, ni l'étranger qui est devant tes portes".
Sous l'Ancien Régime, c'est un jour où l'on doit se rendre à la grande messe dominicale, c'est un peu obligatoire. Puis, au moment de la Révolution française, le dimanche reste un jour de culte, mais on peut travailler parce que dans cette période-là, les lois de l'Église ne s'appliquent plus. Le calendrier républicain a mis en place des semaines de 10 jours, ce qui supprima mécaniquement le repos dominical. Il fut remplacé par le décadi, mais qui a eu pour effet de réduire le nombre de jours chômés dans l'année à 36 au lieu de 52, après on connaît bien l'histoire du calendrier républicain, cela n'a pas perduré. Napoléon Ier refusa ensuite d'imposer un jour chômé, laissant la liberté aux gens de travailler ou non. Au XIXe siècle, Louis XVIII interdit de travailler le dimanche, d'ouvrir les boutiques, d'étaler des marchandises le jour du seigneur. Napoléon III le rend obligatoire parce qu'il estime que le repos du dimanche est nécessaire à la santé et au développement intellectuel des classes ouvrières. C'est en 1906, suite à une catastrophe industrielle et au constat que l'espérance de vie des employés plafonnait à 40 ans, que l'interdiction du travail du dimanche fut imposée avec de nombreuses dérogations. Dans cette même période, le travail des enfants, des femmes, des fonctionnaires, le travail nocturne, la journée de 8 heures et l'apparition du Code du travail furent aussi faits en parallèle. Depuis, nombre de dispositions sont revenues, re-revenues, ont supprimé, ont augmenté, cela fait partie des débats que nous avons ici même d'ailleurs depuis bien longtemps. Aujourd'hui, il y a une disposition globale qui dit que nous n'avons pas le droit de travailler le dimanche et il y a les dérogations. Les dérogations sont nombreuses. Il y a des dérogations pour les zones touristiques et thermales, pour les magasins spécialisés dans la culture, des dérogations où on peut ouvrir le dimanche dans n'importe quel magasin si on travaille soi-même ou si l'on fait travailler ses enfants ou sa famille directe. Il y a des dérogations évidemment pour les services publics, pour les hôtels, pour les musées. Les zones touristiques internationales sont apparues et les dérogations ont augmenté au même titre que les compensations ont un peu réduit. Aujourd'hui, certains ont des jours de compensation quand ils travaillent le dimanche, d'autres ont des temps au taux horaire revalorisé quand ils travaillent le dimanche, parfois il y a les deux, de moins en moins. Ce qui est certain, c'est qu'une loi doit protéger un ordre public social qui veut seulement protéger les salariés mais aussi la société que nous défendons, dans laquelle j'aimerais bien vivre et que mes enfants puissent vivre par la suite. La bataille temps de travail dans laquelle la question du travail dominical s'inscrit est une bataille que les élus locaux que nous sommes ne peuvent ignorer. Pour des raisons de santé sociale, pour des raisons d'équilibre de la ville, pour des raisons de résilience, mais aussi de lutte contre la surconsommation, le travail du dimanche n'est pas une solution. La loi permet au maire d'une ville de choisir le nombre de dimanches travaillés, en plus de tous ceux qui relèvent déjà de nombreuses dérogations que je vous ai déjà décrites. La Maire de Paris a choisi de pouvoir proposer le maximum, 12 dimanches par an, 1 dimanche par mois au moins. Nous nous inquiétons que ces décisions qui vont, selon nous, à l'inverse de l'histoire, à l'image d'ailleurs de la réforme des retraites qui est en cours, puissent encore convaincre certains ici qu'une ville puisse assumer de rompre avec un temps commun pourtant constructif et utile, mais aussi avec la possibilité d'enclencher une démarche politique assumant qu'un autre modèle de société est possible.
Nous serons contre ce projet de délibération encore une fois, puisque ce n'est pas la première fois. Nous serons contre, parce que le travail du dimanche aujourd'hui n'est plus compensé. Nous serons contre, parce qu'on sait que ce sont aussi essentiellement des femmes qui subissent du temps partiel, qui sont amenées à travailler le dimanche, qu'elles sont taillables et corvéables à merci. Nous serons contre, parce que nous avons longuement travaillé y compris dans cet hémicycle lors d'une mission d'évaluation et d'information sur le travail du dimanche et nocturne, et nous avions globalement constaté que la généralisation et la banalisation du travail le dimanche ne font que réduire les protections sociales des salariés. Nous serons contre, parce que les moyens de l'Inspection du travail ne sont pas suffisants pour pouvoir contrôler et faire en sorte que les droits soient appliqués. Nous serons contre profondément. Je vous remercie.
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - Merci, Léa FILOCHE. La parole est à Danielle SIMONNET.
Mme Danielle SIMONNET. - On a mieux à faire le dimanche que de croire que le bonheur serait au fond du caddie dans un grand supermarché.
Ecoutez, cette question du travail du dimanche dans les commerces, c'est une aberration sociale, une grande régression sociale, mais je commencerai par l'aberration anti-écologique. Oui, une aberration anti-écologique, on ne peut pas ici les uns et les autres reconnaître l'urgence révélée par les rapports du GIEC, et malgré tout ne rien changer de notre mode de développement, de notre société hyperconsumériste, et continuer à croire que le modèle à promouvoir de la ville, c'est celui d'une ville commerciale ouverte tous les jours de la semaine.
Non seulement, inciter à l'hyper consumérisme le dimanche est une aberration, mais l'ouverture même des commerces le dimanche qui fait que la ville devrait fonctionner de la même manière le dimanche et la semaine, allant à l'encontre de sa nécessaire respiration, qu'au moins une journée dans la semaine le rythme de la Ville soit ralenti, est une aberration écologique. Il faut ralentir la ville, il faut repenser ses usages. Il faut recréer les conditions d'une société de plus de liens et de moins de biens.
Donc, oui, fermer les commerces le dimanche, cela fait du bien ! On fait autre chose et Paris nous permet de faire autre chose, il y a tant de choses à faire à Paris.
D'abord, il y a dormir, se retrouver en famille, se retrouver en couple, aller à des manifestations, faire du sport, des activités de loisirs, des engagements associatifs, se préoccuper d'autrui, se préoccuper de soi. Voilà, faites autre chose le dimanche que de courir dans les centres commerciaux.
Maintenant, il y a la question sociale, et là mais c'est terrible de voir que cette majorité, pas dans toutes ses composantes, j'entends bien les interventions des collègues, mais en tous les cas la position de la Maire, finalement, a suivi les lois El Khomri, puis Macron, puis les ordonnances Pénicaud, et finalement applique, après avoir bien retourné sa veste, le maximum des 12 dimanches ouverts qui sont possibles dans la loi. Et c'est une régression sociale. Je vous conseille, mes chers collègues, d'offrir à Noël à Mme la Maire, le dernier livre du Clic-P, qui est l'intersyndicale qui fait trembler les enseignes. Le Clip-P a sorti un bouquin qui permet de reprendre tous les arguments, un très bon livre qui montre par ailleurs que cela n'a aucun intérêt. D'un point de vue économique, non, l'ouverture des commerces le dimanche n'a pas créé d'emploi, mais a permis hélas, au contraire, de tuer des emplois, de fermer des emplois dans le petit commerce, et ensuite a développé la précarité. Par ailleurs, majoritairement exercés par des femmes. Non, les commerces ouverts le dimanche n'ont pas connu une augmentation de leur chiffre d'affaires. Et d'ailleurs, la part faite le dimanche est bien inférieure aux autres jours. Concernant les salariés, je ne reprends pas l'excellente intervention de Léa FILOCHE à ce sujet, qui montre très bien que non, les salariés ont tous à y perdre avec le travail du dimanche, sur hélas les non-compensations et surtout la vie bousillée. Écoutez les témoignages des gens qui sont coincés à bosser le dimanche, c'est leur vie de famille, leur vie d'amis qui sont bousillées et dégradées. Il faut respecter l'harmonisation des temps sociaux. Et l'harmonisation des temps sociaux, c'est permettre dans le maximum de domaines où on peut se passer du travail du dimanche, et bien de s'en passer. Je terminerai par quelques enquêtes fort intéressantes. L'enquête du Credoc avait montré d'ores et déjà que lorsqu'on demande aux gens, trois quarts des Français considèrent que les horaires d'ouverture sont déjà bien suffisants, qu'il n'y a pas besoin du dimanche, et que le dimanche pour eux est synonyme de repos. 80 % sont d'accord avec cette affirmation. D'autres enquêtes montrent, notamment sur les zones touristiques internationales, que pour 86 % des Français, le dimanche est plutôt un jour de vie de famille, sportive, culturelle, et pas pour aller dans les commerces. Quand en 2015, après la loi Macron, un sondage du "Parisien" pose la question aux Françaises et Français, 90 % répondent qu'ils associent le dimanche au repos, à la famille encore une fois. D'autres études montrent que 61 % des habitants d'Ile-de-France ont accès à des commerces le dimanche, mais que seuls 26 % d'entre eux en font usage ce jour-là. Ce n'est pas nécessaire, cela ne répond pas à un besoin. L'enquête du Credoc dit que 52 % des actifs en emploi sont défavorables à l'ouverture du dimanche. Dans une autre enquête d'Harris interactive en 2013, on entend que 57 % des salariés qui travaillent le dimanche préféreraient ne pas le faire, et 61 % de ceux qui ne travaillent pas le dimanche sont opposés aux ouvertures les dimanches, alors cherchez donc à qui cela profite.
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - Merci beaucoup, Danielle SIMONNET.
La parole est à Olivia POLSKI, pour vous répondre et pour répondre aux intervenants.
Mme Olivia POLSKI, adjointe. - Monsieur le Maire, mes chers collègues, cela faisait un peu longtemps que l'on n'avait pas parlé de travail du dimanche dans ce Conseil !
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - C'est vrai, c'est un sujet nouveau.
Mme Olivia POLSKI, adjointe. - Cela faisait quelques mois.
En tout cas, les débats n'ont pas changé, ils restent toujours les mêmes. Comme vous le savez, la Maire de Paris est compétente pour fixer le calendrier durant lequel les commerces de détail peuvent être autorisés à employer des salariés le dimanche selon les conditions fixées par le Code du travail. D'ailleurs, ces dimanches de la Maire sont beaucoup plus protecteurs en matière de droit des salariés, que ne le sont les Z.T.I.
Pour arrêter le calendrier 2020 des dérogations à la règle du repos dominical, nous avons procédé à une consultation successive des organisations professionnelles par branche, puis des syndicats.
A l'issue de cette consultation, la Maire de Paris a décidé d'autoriser cette ouverture 12 dimanches par an, à l'exception et conformément à leur demande, des métiers et services de l'animal, des détaillants en maroquinerie et voyages, et de la filière de la boucherie, qui en ont demandé moins et le détail est dans le projet de délibération.
Cette proposition correspond pour la plupart des branches à des temps forts commerciaux dans l'année, qui sont importants pour elles, notamment les fêtes de fin d'année, puisque c'est entre 4 et 6 dimanches, les soldes d'hiver et d'été, la rentrée scolaire, etc., qui concentrent les grands moments d'achat des ménages. Ces temps forts sont propres à chaque type de commerce et donc l'arrêté fixe des dates spécifiques par branche d'activité. Ces autorisations permettent pour les commerces et notamment les commerces de proximité, de pouvoir ouvrir certains dimanches de l'année et d'éviter, cela faisait partie de nos débats à l'époque, les reports qui sont inévitables en cas de non-ouverture sur les commerces de la même branche qui sont situés, eux, dans les Z.T.I. et peuvent donc ouvrir. Par ailleurs, et suite aux conséquences économiques des manifestations sur nos commerces pendant de longs mois, notamment les commerces indépendants, il me semble indispensable de répondre aux demandes qui ont été formulées par les organisations professionnelles. En conséquence de quoi, j'émettrai un avis défavorable à l'amendement proposé par le groupe PCFG, demandant de limiter cette ouverture dominicale à 7 jours maximum au lieu des 12 pour les branches qui l'ont sollicité. Pour autant, ces autorisations restent exceptionnelles, et je rappelle la position qui est la nôtre, à savoir qu'il n'est pas souhaitable de s'orienter vers une généralisation de l'ouverture dominicale. Compte tenu de ces éléments, je soumets à notre Assemblée, pour avis, la liste pour 2020. Je vous remercie.
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - Merci beaucoup, Olivia POLSKI.
J'émets l'hypothèse forte que l'amendement n° 152 du groupe Communiste soit maintenu.
Je donne la parole à Pascal JULIEN, pour une explication de vote sur cet amendement.
M. Pascal JULIEN. - Les arguments de l'adjointe n'ont à aucun moment répondu aux oratrices précédentes, dont les propos étaient tout à fait justes.
En réalité, il s'agit bien d'une ouverture progressive, contrairement à ce qui est dit, une mesure progressive du travail le dimanche, ce qui correspond avec tant d'autres indices. Cela s'inscrit dans une vision différente de la vie, de la ville, ce n'est pas le même modèle de société, et c'est bien pour cela, voyez-vous, que les écologistes iront, sans Anne HIDALGO, au premier tour des élections.
M. Patrick BLOCHE, adjoint, président. - Merci beaucoup, Pascal JULIEN, pour cette information exclusive. La surprise est totale, le Conseil de Paris est saisi.
De ce fait, je mets d'abord aux voix, à main levée, la proposition d'amendement n° 152 déposée par le groupe Communiste - Front de Gauche, assortie d'un avis défavorable de l'Exécutif.
Qui est pour ? Contre ?
Abstentions ?
La proposition d'amendement n° 152 est repoussée.
Je mets aux voix, à main levée, le projet de délibération DAE 91.
Qui est pour ?
Contre ?
Abstentions ?
Le projet de délibération est adopté. (2019, DAE 91).